En Chine, les habitants de nombreux cantons sont contraints de quitter leurs terres afin de laisser place à l’urbanisation. Pourquoi avoir choisi de mettre en lumière le territoire de Guanzhou uniquement ? Au début, j’hésitais à filmer plusieurs cantons où des habitants avaient été chassés de chez eux. Puis, après une longue réflexion, je me suis dit qu’il était préférable d’opter pour une immersion au sein d’un seul canton, pour mieux comprendre son histoire mais aussi sa culture. J’ai choisi Guanzhou pour plusieurs raisons. Tout d’abord, comme je l’expliquais plus tôt, pour sa singularité géographique. On a vraiment l’impression d’être dans un village, mais aux portes de la ville. C’est un contraste intéressant que l’on ne retrouve nulle part ailleurs. Ensuite, les habitants ont une ouverture d’esprit et une analyse de la situation et de l’actualité incroyables. Ils sont très lucides. J’ai rencontré des personnes qui m’ont vraiment éclairé, elles avaient toutes un avis, un point de vue sur la situation, mais aussi une culture politique et une intelligence de la situation très développées. Cette terre située au sud de la Chine était, avant que le communisme n’arrive, une terre d’immigration. Ces habitants ont connu une énorme diaspora. Certains ont encore de la famille en Europe, en Afrique du Sud, qui revient parfois uniquement pour les fêtes ancestrales. La dernière raison pour laquelle je me suis concentré sur ce canton, c’est sa facilité d’accès, notamment grâce au métro. Lors de mes premières venues sur le territoire, j’essayais de rester très discret pour ne pas me faire repérer par les autorités locales. De plus, à certains moments, les habitants ne me répondaient pas du tout, principalement par peur. Pouvoir faire des allées et venues en toute discrétion était donc pour moi un facteur crucial. Comment avez-vous été accueilli par les autorités locales, mais aussi par les villageois, en tant que réalisateur ? Au début, j’avais très peur. Certains habitants se moquaient même de moi. Ils me disaient : « De quoi tu as peur ? Nous, on n’a plus rien, on a tout perdu, on n’a plus rien à perdre. Mais toi, de quoi tu as peur ? » (Rires.) Par la suite, j’ai découvert que les autorités locales ressentaient autant de crainte que moi. Le pire, pour elles, c’est qu’il y ait un problème avec un étranger et que cela crée un incident diplomatique. Pour vous donner un exemple, lors d’une fête ancestrale, la fête des bateaux-dragons – qui est un moment d’union symbolique pour les villageois –, les habitants ont voulu que je monte sur l’un des bateaux avec eux, mais l’un des policiers me l’a interdit, en disant : « Si un étranger se noie, cela va être trop problématique. Il peut regarder l’événement mais pas y participer. » (Rires.) C’est au travers de cette fête que j’ai pu faire ma place. Certains policiers questionnaient les villageois sur les raisons de ma présence. Ceux-ci leur répondaient que j’étais un ami de longue date et les autorités y ont cru (rires). Ce sont eux qui me couvraient, en quelque sorte. Et puis, comme je revenais chaque année, les autorités locales me reconnaissaient. Je me rappelle une année, en particulier. À peine arrivé en Chine, j’ai rendu visite à l’une des personnes que j’avais déjà interviewées mais qui ne voulait pas être filmée. Je l’aimais beaucoup car c’était une personnalité très forte. Mais une fois arrivé chez cet habitant, j’entendis cinq, six personnes. C’étaient des gendarmes qui étaient venus manger avec lui pour le convaincre de partir. Mon sang s’est glacé, alors que j’étais déjà sur le pas de la porte. J’ai tenté de me faire tout petit mais l’un des gendarmes m’a tout de même aperçu. Ils allaient s’approcher de moi, jusqu’à ce que l’un d’entre eux s’écrive : « C’est l’étranger qui vient tous les ans, il a même assisté à la fête des bateaux-dragons ! » C’est finalement cette fête qui m’a sauvé ! (Rires.) Quant aux villageois et moi, on avait un très bon rapport. C’était comme si, chaque année, je rendais visite à des amis. Et puis, comme les Chinois aiment beaucoup les spécialités françaises, à chacun de mes séjours je leur apportais du fromage ou du chocolat, par exemple. Je sais qu’ils étaient assez sensibles à ce genre d’attention.

Catégorie : Culture

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