
Approche importée des États-Unis, la neurobiologie s’impose depuis des années dans la psychiatrie française. La méthode qui se veut scientifique et fondée sur des études du cerveau domine dans les politiques publiques, mais est critiquée par des chercheurs et des praticiens. À Lyon, le Vinatier est au premier rang de ces oppositions et de ces évolutions, mais pour son directeur, il s’agit plus de revoir le rôle de l'hôpital psychiatrique. Une enquête de Massimo Goyet.
« Je ne supportais plus le virage neuroscientifique du Vinatier. » Récemment retraité, le psychiatre et écrivain Emmanuel Venet décrit les raisons qui l’ont poussé à quitter en 2021 l'hôpital dans lequel il exerçait depuis plus de 30 ans. Alors que la psychiatrie repose sur trois aspects – le cerveau, les facteurs psychologiques et le contexte social –, il regrette que les nouveaux courants de cette discipline négligent les deux derniers points et cherchent plutôt une explication neurobiologique des troubles mentaux. Soigner des cerveaux plutôt que des personnes, une maladie plutôt qu’un malade : tel est le reproche adressé aux neurosciences. Reproche qui se retrouve dans une tribune publiée en mai par un collectif de praticiens et de chercheurs (« Non à une psychothérapie d’État ! »), où l’on peut lire notamment ceci : « Nous n’acceptons pas que la santé mentale soit restreinte au champ médical ». Une position franchement opposée à celle de Pascal Mariotti, directeur du Vinatier depuis 2017, qui indiquait dans le projet d’établissement « Cap 2028 » que « la psychiatrie se définit au premier chef comme une discipline médicale ». Le psychologue Albert Ciccone est l’un des signataires de la tribune. Jusqu’en 2021, il était responsable du master de psychopathologie clinique psychanalytique à Lyon 2. Progressivement, il a été plus difficile pour ses étudiants de trouver des stages au Vinatier, raconte-t-il. « Il n’y avait pas d’interdiction officielle, mais du fait de notre orientation et du tournant neurobiologique de la psychiatrie, les nombres de stages ont diminué. » Pour lui, cela résulte surtout du fait que les psychologues ont été eux-mêmes en difficulté : « Du jour au lendemain, certains psychologues ont perdu la reconnaissance de leur travail avec ce tournant. Cela génère des tensions et des conflits. »
L'Arrière-Cour est un média indépendant qui ne dépend que de ses abonnés.