
Olivier Hamant, chercheur et biologiste à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) au sein de l’ENS à Lyon, appelle la Métropole et la Ville de Lyon à renforcer ses projets d’autonomie face aux fluctuations socio-écologiques à venir, notamment via une « régie agroécologique », le soutien aux projets de santé préventive par l’alimentation locale ou les ateliers citoyens de réparation. Dans son ouvrage
La Troisième Voie du vivant
, il propose des pistes d’action pour éviter la catastrophe et esquisse des solutions pour un avenir viable. Un entretien mené par Julia Blachon.L’Arrière-Scène : Dans votre ouvrage, vous mentionnez l’importance d’agir au niveau local pour continuer à vivre dans un monde qui devient de plus en plus turbulent . Quelles actions faudrait-il mettre en place sur le long terme pour lutter contre le dérèglement climatique et l’effondrement de la biodiversité ?
Olivier Hamant : L’agriculture est selon moi la principale action qui permettrait de répondre aux enjeux environnementaux, qu’ils soient le climat, les pollutions ou la biodiversité. Localement, cela se traduirait par une agroécologie forte. Il s’agit de penser le champ comme un écosystème, et donc de remplacer l’irrigation, les engrais et pesticides par des symbioses entre espèces. L’agroforesterie par exemple peut créer un microclimat à plus forte hydrométrie et créer de nouvelles interactions bénéfiques entre espèces. A Lyon, par exemple, une agriculture dite « urbaine et locale », pourrait améliorer les conditions sociales, économiques et environnementales de l’ensemble de la population. Il s’agirait finalement de penser la santé plus largement. Cet investissement s’accompagnerait bien sûr d’un changement des habitudes de consommation des habitants en incitant au circuit court.
Même si je suis conscient que ce n’est pas l’agriculture urbaine qui va nourrir l’ensemble des Lyonnais (rires), cette pratique est très positive d’un point de vue éducatif. On reconnecte ainsi les citoyens à leur alimentation, on fait évoluer les façons de penser, etc.
Le basculement vers « agroécologie », ne se fait pas en un claquement de doigts. Or, comme vous le précisez dans votre ouvrage, le temps est compté. Comment la Ville de Lyon et la Métropole peuvent-elles faire évoluer les mentalités et les habitudes de consommation de leurs habitants sur le court terme ?
La clé, c’est la création d’une « régie agricole », ou même d’une « régie agroéco…
logique », à l’image de la régie municipale de l’eau déjà instaurée dans la métropole lyonnaise. Elle ferait en sorte de favoriser le circuit court et la vente de produits locaux, notamment. Cependant, la création d’une régie agricole dépend énormément du levier du foncier. Si de nombreux agriculteurs souhaitent aujourd’hui se mettre à l’agroécologie, la plupart des parcelles qui se libèrent sont préemptées par de plus gros groupes, ou pour construire des immeubles.
Pour pallier ce problème, il existe l’association Terre de liens qui achète des terres avec l’argent des participants pour préserver leur destination agricole et identifie des paysans prêt à se lancer dans l’agroécologie en circuit-court.
« De nombreux entrepreneurs m’ont confié ne plus avoir les mêmes objectifs professionnels qu’avant la crise sanitaire. Atteindre des objectifs commerciaux et chiffrés n’est plus une priorité. »
Vous appelez au changement des habitudes de consommation mais la crise sanitaire n’a-t-elle pas déjà permis l’émergence d’une « ère nouvelle », avec un ralentissement du dérèglement climatique ?
Même si nous ne nous sommes pas encore totalement rendu compte des impacts positifs ou négatifs de la crise sanitaire sur nos modes de vie, je crois qu’elle a autorisé, entre autres, une énorme remise en question de la trajectoire de l’humanité. Spontanément, nous nous sommes rapprochés d’un mode de consommation de proximité, plus local, plus humain aussi.
L’avenir est devenu incertain, et nous devrions considérer que cette incertitude est devenue notre principal point d’attention, non pas pour mieux l’éviter, mais au contraire pour inventer le monde qui va avec. J’ai eu l’occasion de rencontrer de nombreux entrepreneurs, qui m’ont confié ne plus avoir les mêmes objectifs professionnels qu’avant la crise sanitaire. Atteindre des objectifs commerciaux et chiffrés n’est plus une priorité. Par contre, avoir suffisamment d’autonomie, de stocks, de capacité d’interaction dans son réseau est indispensable, bien avant la seule performance économique à court terme.
Il y a également eu une remise en question de la notion de « travail », originellement une valeur fondamentale pour définir notre identité. C’est en effet la première question que l’on pose lors d’une rencontre ou d’une soirée. Quand on dit « qu’est-ce que tu fais dans la vie ? », cela se traduit généralement par « qu’est-ce que tu fais comme travail ?». Je vois de plus en plus de personnes changer de valeurs. Elles ne seront plus dans la compétition, par exemple, mais dans la coopération. Le Covid a donc entraîné un changement des mœurs, des habitudes, et une réévaluation des objectifs professionnels. Mais comme je l’ai dit, on n’a pas encore complètement perçu les conséquences de la crise sanitaire. Ceci dit, je suis assez optimiste par rapport à ça.
Dans votre ouvrage, vous rapprochez le phénomène du dérèglement climatique de l’anthropocène. Pourquoi ?
L’Anthropocène c’est le moment où l’être humain occupe l’ensemble des espaces exploitables et commence à subir les rétroactions planétaires. La crise climatique, l’effondrement de la biodiversité, et les grandes pollutions en sont les premiers facteurs. Dit autrement, l’Anthropocène clôt la période initiée il y a 12 000 ans : c’est la fin du Néolithique, cette période où l’humain a développé l’agriculture et la domestication, et a voulu contrôler la nature. Dans l’Anthropocène, l’humain a perdu le contrôle.
« On est en train d’oublier la crise climatique pour se concentrer de nouveau sur le côté commercial et stratégique. C’est un véritable retour en arrière. »
Le phénomène de l’Anthropocène est aussi marqué par une grande accélération de l’activité économique et des impacts écologiques après les deux guerres mondiales, pourquoi ?
Les deux guerres mondiales ont vraiment été un moment fondateur pour l’Anthropocène, parce que la guerre justifie les gains de performance. La plupart de nos objets modernes qui accélèrent le monde – avions, engrais de synthèse, énergie nucléaire, porte-conteneur,…- sont des objets militaires devenus commerciaux. Puisque nous n’avons pas fait machine en arrière en temps de paix, nous sommes toujours dans une économie de guerre. Encore plus avec le conflit entre la Russie et l’Ukraine. On n’a pas vraiment évolué ! (rires)
Justement, risquons-nous de connaître une accélération de l’Anthropocène avec la situation actuelle en Ukraine ?
Oui et non. Oui, parce qu’on est peu à peu en train d’oublier la crise climatique pour se concentrer de nouveau sur le côté commercial et stratégique, sans aucun sens rationnel. C’est un véritable retour en arrière.
Et non, parce que nous sentons déjà les effets des pénuries sur certains aliments ou sur le pétrole. Si accélération il y a, nous buterons simplement plus vite contre les limites planétaires.
Pour lutter contre l’anthropocène, vous mentionnez la « résilience ». Pouvez-vous expliciter ce terme ?
Le problème du mot « résilience », c’est qu’il est devenu très polysémique. De façon générale, il se définit comme le fait de résister à un choc. Cependant, lorsqu’on se penche sur des articles plus scientifiques, on voit que la résilience signifie l’« adaptabilité » et la « transformabilité ». En d’autres termes, la capacité à s’adapter et à se transformer. J’irai même plus loin en comparant ce terme à la « robustesse », autrement dit la capacité à « maintenir les systèmes stables malgré les fluctuations ». Puisque nous entrons dans un monde turbulent – sur le plan géopolitique, social et écologique – continuer sur la voie de la performance est suicidaire parce que cette voie est bien trop étroite, et qu’elle ne produit que du burnout (des humains et des écosystèmes). Il nous faut bien plutôt largement augmenter les marges de manœuvre, fortement développer l’autonomie territoriale, stimuler la techno-diversité, encourager l’éducation à la coopération… Dans un monde très fluctuant, notre futur système socio-économique ne sera pas plus efficace ou plus compétitif ; il sera robuste ou ne sera pas.
Propos recueillis par Julia Blachon