
Le 1er avril, la Ville de Lyon et la Métropole ont financé l’installation de 16 sanitaires écologiques (7 féminins, 7 masculins et 2 pour personnes à mobilité réduite) à titre expérimental jusqu’à septembre prochain. Objectifs: améliorer la salubrité publique et l’inclusivité et valoriser une partie des urines pour l’agriculture. Ce projet n’a toutefois pas ravi les élus de l’opposition ni les architectes des Bâtiments de France (ABF), qui s’expriment pour la première fois dans L’Arrière-Cour. Une enquête d’Honorine Soto.
Si les sanitaires écologiques installés sur les quais du Rhône et dans le parc Blandan sont (pour l’instant) à l’abri des critiques, les nouvelles infrastructures métalliques disposées devant la gare Saint-Paul et sur la place Louis-Pradel cristallisent les tensions. Pourquoi? Ces deux sites font partie des 10% du territoire lyonnais classés au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1998. Pour Louis Pelaez, président du groupe d’opposition Inventer la Métropole de demain, « cette majorité a la fâcheuse habitude de ne pas respecter l’histoire et l’esthétisme de Lyon ».
« Les fesses à l’air féminines entre deux voitures quai de la Pêcherie, tous les soirs entre 21h et 1h du matin, ce n’est plus possible » (Jean-Christian Morin)
« Le 1er arrondissement, c’est 30.000 habitants la semaine, 60.000 le week-end, et ce sont surtout des jeunes qui sortent et qui boivent », souligne Jean-Christian Morin, adjoint au maire du 1er arrondissement en charge de la propreté, de la tranquillité et de la sécurité. « Il y a donc un vrai besoin d’infrastructures pour se soulager et pallier les nombreux pipis sauvages derrière l’Opéra ou encore dans les cours des immeubles alentour. » Pipis sauvages masculins… mais aussi féminins : « Les fesses à l’air féminines entre deux voitures quai de la Pêcherie, tous les soirs entre 21h et 1h du matin, ce n’est plus possible ! », poursuit l’élu.
Pour l’opposition, même si personne ne conteste ce besoin d’infrastructures nouvelles dans l’espace public lyonnais, c’est le choix des emplacements qui est dénoncé, comme nous l’explique Louis Pelaez : « Que ce soit sur la place Louis-Pradel ou devant la gare Saint-Paul, nous sommes sur un territoire protégé par l’Unesco et on se doit de respecter ces lieux. Ce type “d’outils” a sûrement une utilité dans des endroits très spécifiques mais certainement pas sur une place de centre-ville. » Si la place Louis-Pradel a été choisie, c’est qu’elle regroupe un nombre de jeunes quotidiennement très …
important et que les pipis sauvages y sont légion. En outre, la mairie du 1
er arrondissement a voulu rendre ces sanitaires accessibles et sûrs :
« Il faut que ce soit visible par tous, nous ne voulions pas cacher ces toilettes dans une ruelle. Nous sommes engagés dans une démarche d’inclusivité et nous nous adressons aux femmes. Nous souhaitons qu’elles aient la tranquillité d’esprit de s’y rendre. »Selon l’adjoint au maire, tout cela relève de la polémique gratuite : « Cela fait des années qu’il y a un manque crucial de toilettes, ce n’est pas en ne faisant rien – comme nos prédécesseurs – qu’on va avancer. Juger l’esthétisme des toilettes alors qu’il y a des choses pas très jolies sur cette place, comme la cabine de l’ascenseur Vinci, le commissariat de police, etc., c’est vraiment bas. L’inaction n’était pas une option. » De plus, si certains prônent des toilettes fermées du type Decaux, cela est impossible pour l’élu : « Non seulement ce n’est pas le même dispositif, car cela implique un accès à l’eau et au tout-à-l’égout, mais surtout, ce genre de toilettes enregistre 15 pipis à l’heure. C’est bien trop peu au vu de notre besoin. »

Qu’en dit l’ABF ?
« Dès demain, je saisis les architectes des Bâtiments de France », tweetait Louis Pelaez dimanche dernier. Même si l’élu de la Métropole a tenu ses promesses, l’ABF serait de facto intervenu dans le projet des sanitaires écologiques. En effet, dès que de nouvelles infrastructures voient le jour sur un espace classé au patrimoine mondial de l’Unesco, l’ABF a son mot à dire. Pour l’instant, ce projet reste dans le délai réglementaire de 15 jours des installations temporaires qui ne sont soumises à aucune consultation de l’ABF. Passé ce délai, en revanche, un avis ABF sera donné.
Resté jusqu’à présent discret dans le débat, l’architecte des Bâtiments de France Christophe Margueron a accepté de répondre à L’Arrière-Cour. Tout en restant dans les limites de son devoir de réserve, qui lui impose de garder ses commentaires pour les élus concernés, il ne fait pas mystère de ses doutes à l’égard du projet sanitaire actuel porté par la Ville de Lyon et la Métropole : « Dans l’hypothèse où ce mobilier devait rester plus longtemps que 15 jours, des échanges devraient intervenir avec la Ville pour trouver une implantation et/ou une esthétique moins impactantes pour cet espace public majeur de Lyon. Ces échanges ont commencé. » Cela ne semble donc pas aller dans le sens du projet de la majorité écologiste. Interrogée par L’Arrière-Cour sur ces questions, la Ville de Lyon n’a pas souhaité répondre et nous a renvoyés vers la Métropole. Un choix étonnant, car cette dernière ne finance qu’à 30% ce projet de sanitaires, alors que la Ville l’assume à 70%. Quant aux élus de la Métropole, « leur emploi du temps ne leur [permettait] pas de [nous] répondre ».
« Une fois de plus, je crains que ce soit l’amateurisme qui ait prévalu dans ce dossier » (Louis Pelaez)
Malgré toutes ces critiques, le projet présente de véritables atouts : des sanitaires inclusifs destinés aux femmes, aux hommes et aux personnes à mobilité réduite, mais aussi écologiques. L’urine récoltée, riche en phosphore et en azote, est ainsi réutilisée comme fertilisant pour l’agriculture locale. Le tout est géré par un agent d’entretien qui se déplace à vélo et nettoie les sanitaires sales grâce aux signalements qu’il aura reçus par des utilisateurs via un code QR.
Ces mêmes sanitaires, conçus par la société Ecosec, ont déjà fait leur apparition en 2020 à Paris, notamment dans le quartier de la Chapelle, et ont été… un terrible échec. En quelques mois, des litres d’urine se sont écoulés sur les trottoirs, le mobilier s’est dégradé et des faits d’exhibitionnisme ont été relevés. Pour Louis Pelaez, l’attitude de la mairie de Lyon et de la Métropole n’est pas professionnelle : « Quand on est élu, il est important d’analyser les expériences passées notamment dans d’autres villes. Lorsqu’on voit l’échec de ce type d’urinoir à Paris, il est dommage que l’on n’en ait pas tenu compte à Lyon. Une fois de plus, je crains que ce soit l’amateurisme qui ait prévalu dans ce dossier. »
Des dispositifs similaires ont néanmoins fonctionné dans d’autres quartiers de la capitale. Alors, la Ville de Lyon et la Métropole ont-elles gaspillé 140.000 euros en investissant dans des sanitaires que l’architecte des Bâtiments de France leur demande déjà de modifier ? Sur le plan financier, non, puisque, s’agissant d’installations mobiles, les collectivités dirigées par les écologistes auront toujours la possibilité de les positionner ailleurs. Sur le plan politique, ce sera sans doute un peu plus compliqué à gérer.
Honorine Soto
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