À l’heure de la rentrée des classes, Grégory Doucet a inauguré une nouvelle cour d’école, à La Sauvagère dans le 9e arrondissement de Lyon. Une cour « végétalisée », et surtout « non genrée » afin de favoriser la mixité parmi les enfants. Potager participatif, végétaux et rondins de bois ont remplacé le traditionnel terrain de foot. D’ici à 2026, un tiers des écoles lyonnaises devraient être équipées de ces infrastructures. Une enquête de Julia Blachon, illustrée par Guillaume Long.

Cours d'écoles « non genrées » : véritable progrès ou simple lubie ?
« De base, moi je voulais des cages et un terrain de foot, mais ils l’ont remplacé par des copeaux de bois. » Filmé par LyonMag, le petit garçon qui exprime son mécontentement auprès de Grégory Doucet lors de l’inauguration de sa nouvelle aire de jeux à l’école La Sauvagère a fait le tour du Web, en plus de provoquer l’hilarité de ses camarades et de paraître désarçonner le maire de Lyon, qui n’a pas trouvé les mots pour lui répondre.
La vidéo n’a pas tardé à faire le bonheur des chaînes d’info, à commencer par CNews, qui lui a consacré un débat avec le sens de la mesure et le progressisme bien connus de ses chroniqueurs. Ceux-ci ont raillé des élus écologistes « complètement à côté de la plaque », qui « mettent de l’idéologie là où il ne devrait y avoir que de l’innocence, du jeu, l’enfance », veulent « mettre fin au rêve, à la joie », « rendre ennuyeux et triste quelque chose de joyeux ». L’affaire serait surtout le fruit d’une « idéologie inquiétante » de la part des élus lyonnais, accusés de mener une « entreprise de rééducation, de propagande », avec la volonté de « changer la nature humaine ». Rien que cela.
L’opposition de droite locale a embrayé sur le même ton, dénonçant « l’idéologisme » et le « dogmatisme » de la majorité municipale : « Face à un écologiste idéologue et dogmatique, cet écolier n’a aucune chance d’être entendu », s’est ainsi lamenté Étienne Blanc (LR) sur Twitter. « À la Ville et à la Métropole de Lyon, nous en savons quelque chose ! Cet exemple démontre à quel point la théorie du genre massacre nos libertés, même celles des enfants. »
Côté LREM, David Kimelfeld et Yann Cucherat dénoncent de concert auprès de L’Arrière-Cour une politique « …
sexiste »,
« simpliste » et
« caricaturale ». Pour l’ancien président de la Métropole, ces nouvelles aires de jeux ne suffiront pas à réduire les inégalités entre les filles et les garçons.
« Ne croyez-vous pas que les enfants ne vont pas se créer eux-mêmes des cages de foot ? Le problème n’est pas si simple. Davantage de mixité à l’école, cela ne se résume pas au foot : il faut changer les comportements, et ce, dès le plus jeune âge. D’autant plus que les filles aussi savent jouer au foot ! » Une idée partagée donc par Yann Cucherat, pour qui recouvrir un terrain de foot ne favorise pas la mixité. Ce serait même contre-productif :
« Il aurait fallu apprendre à faire ensemble, à jouer au football, au basket, aux jeux de société ensemble, filles et garçons mélangés, et pas seulement enterrer les usages. »Des propos que ne renierait pourtant pas l’actuelle majorité municipale. Si, dans la nouvelle cour d’école de La Sauvagère, le marquage des terrains de sport a bien été effacé au sol, la mairie rappelle qu’il n’y avait pas de cages de foot auparavant – un équipement d’ailleurs rarement présent dans les écoles. Interrogée le lendemain sur ce sujet dans Les coulisses du Grand Lyon, l’adjointe chargée de l’éducation, Stéphanie Léger, s’est bien gardée d’alimenter la polémique, évitant de reprendre à son compte l’idée d’une cour d’école « dégenrée » où il s’agirait de proscrire le foot. L’intention serait plutôt de s’assurer qu’aucune activité ne prenne toute la place au détriment des enfants qui ne souhaitent pas y participer : « Après plusieurs concertations avec les différents acteurs, nous souhaitons juste laisser émerger des espaces où les enfants peuvent courir, se défouler, jouer au ballon, d’autres où ils peuvent se détendre, se reposer, d’autres encore où ils peuvent créer, tester, expérimenter… Il faut parvenir à faire coexister tous ces espaces. Mais nous n’avons certainement pas pour objectif de supprimer tel ou tel sport. »
Une question de confiance en soi
« On s’est rendu compte que, dans la plupart des cours de récréation, les garçons se trouvaient au milieu et jouaient au football, tandis que les filles et les enfants qui n’aiment pas ce sport se retrouvaient autour à les regarder », explique à L’Arrière-Cour Lucille Paulet, chargée de mission pour le réaménagement de l’école dans le 9e arrondissement et architecte de l’association Robins des Villes. « Ce n’est pas très égalitaire. »
Un constat qui irait plus loin encore selon Célia Arnaud, de l’association Sport dans la ville, qui favorise l’insertion professionnelle des jeunes par le sport. Le football aurait ainsi des conséquences néfastes sur l’insertion professionnelle des jeunes filles, nous confie-t-elle : « Une étude indique que les garçons arrivent mieux à s’insérer dans la vie professionnelle que les filles car ils ont davantage confiance en eux. L’espace public, en effet, n’est pas utilisé de façon égale par les garçons et les filles, et ce, dès leur plus jeune âge. Vous le voyez d’ailleurs dans les cours d’école, où les garçons sont au milieu, en train de jouer au foot, et les filles souvent écartées, sur un petit côté de la cour. »
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Végétalisation des espaces
Le deuxième axe de restructuration des écoles concernait la végétalisation. Peu de polémique sur ce sujet, qui semble unir les troupes. Le bitume a été remplacé par des graviers et par un sol souple amortissant à base de granulés de caoutchouc. Des arbres seront également plantés afin d’ombrager l’aire de jeux. « Le bitume est une source de chaleur inimaginable, surtout en pleine canicule », argumente Christophe Maillot, le directeur de l’école La Sauvagère. « Certains étés, on ne pouvait plus laisser sortir les enfants dans la cour, tellement nous avions chaud. Nous restions au rez-de-chaussée, à la recherche d’un peu d’ombre. »
Selon Lucille Paulet, les cours d’école étaient conçues avec l’idée de demander le moins d’entretien possible. « L’environnement d’une cour d’école s’en est trouvé relativement simplifié : du bitume et très peu de végétaux. » Cette configuration entraînerait donc des conséquences néfastes sur la santé des enfants mais aussi du personnel enseignant. « C’est un environnement dépréciatif. On peut se poser des questions sur le comportement et la santé des enfants. »
Un potager participatif va voir le jour dans la cour de récréation. « Il permettra entre autres de créer des projets participatifs entre les enfants de l’école, mais aussi avec ceux de la crèche toute proche », souligne Christophe Maillot. « Les enfants pourront apprendre à cultiver ‘local’ et à créer une chaîne de circuit court, allant du potager à l’assiette. » Les bienfaits du potager à l’école sur l’apprentissage des enfants ont déjà été expérimentés par des écoles belges. « Grâce à un potager, les enfants peuvent renouer avec la nature en pleine ville et redécouvrir le caractère saisonnier des fruits et légumes », raconte Roxane Keunings, responsable du service Éducation à l’environnement au sein de Bruxelles Environnement. « Un potager fournit en outre des légumes frais et sains, sans pesticides, qui peuvent être utilisés dans le cadre d’activités de cuisine. Les enfants peuvent ainsi goûter des légumes inconnus et apprécier la saveur des produits frais et locaux. »
Un projet collaboratif
Même si certains enfants affichaient une mine stupéfaite en découvrant leur nouvelle cour, ce serait faire preuve de mauvaise foi que de dire qu’ils n’étaient pas au courant. C’est en effet un projet que les élèves de CE2/CM1 ont développé ensemble de novembre à décembre 2020. « Nous avons tout d’abord élaboré un diagnostic sensoriel de l’ancienne cour », rappelle le directeur de l’école. « Les enfants ont observé les usages disponibles dans la cour. Nous avons pris en compte l’ensemble des utilisateurs de ces espaces. Puis nous avons interrogé toutes les personnes susceptibles d’utiliser la cour de récréation, élèves, enseignants, encadrants, etc. Ensuite, ce fut le moment de “l’utopie”. Chacun était libre d’imaginer l’école de ses rêves. »
Le directeur illustre ses propos avec les dessins « utopistes » des enfants. « Piscine », « Pont des amoureux », « rivière », « toboggan » : les enfants n’ont pas manqué de créativité pour imaginer l’école idéale. Comme souvent, cependant, l’utopie a laissé place à la triste et dure réalité. Un agent communal est venu rendre visite aux élèves. « Ils ont pu discuter avec lui des contraintes du monde réel », précise le directeur. « Des contraintes qui peuvent être d’ordre technique ou financier. Typiquement, une piscine ou une rivière au milieu de la cour, ce n’était pas possible ! »
Ce travail a été entrepris en collaboration avec l’association Robins des Villes, une structure d’éducation populaire à la ville qui prône des valeurs d’inclusion sociale, de mixité et d’accessibilité des usages urbains aux personnes à mobilité réduite. « C’est un projet qui nous tient à cœur », note Lucille Paulet. « Nous souhaitions améliorer l’environnement extérieur des enfants, puisqu’ils y passent une bonne partie de leur temps. C’est un projet participatif, nous nous sommes vraiment donné le temps de prendre en compte l’avis de l’ensemble des usagers de la cour. »
Quoi qu’il en soit, pour Grégory Doucet, cette école, « plutôt bonne élève », est un exemple à suivre pour les 207 établissements (maternelles et élémentaires) lyonnais. L’objectif est fixé : un tiers des écoles, soit 70 établissements, verront leurs cours réaménagées d’ici à 2026. Avec plus de verdure, des espaces pour les jeux calmes et d’autres pour les plus sportifs… qu’ils et elles jouent au foot ou pas.
Julia Blachon