
Bruno Bonnell est candidat. Investi par le parti présidentiel, celui qui est député depuis 2017 va tenter de devenir président de Région. En Auvergne-Rhône-Alpes pourtant, le choix semblait évident pour représenter La République en Marche. Olivier Véran, conseiller régional de l’Isère, et Olivier Dussopt, député ardéchois, étaient pressentis. Mais la crise sanitaire a bouleversé les plans des Marcheurs : respectivement ministre de la Santé et ministre délégué des Comptes publics, les deux hommes sont plutôt concentrés sur la crise sanitaire… C’est donc l’ancien big boss d’Infogrames, société de renommée mondiale spécialisée dans la conception de jeux vidéo, qui va s’essayer au rassemblement autour du centre. Une enquête et un grand entretien de Romane Guigue, illustré par un Jibé joueur.
Balles au centre
Fidèle de la première heure d’Emmanuel Macron, Bruno Bonnell a, ce jeudi 15 avril, présenté les binômes qui le représenteront dans les départements de la Région. Parmi eux, des élus En Marche, d’autres centristes, députés, conseillers régionaux ou municipaux, et d’autres encore « issus de la société civile ». Jusque-là, pas trop de surprise. Pourtant, Bruno Bonnell aime le répéter : « Avec En Marche, on dépasse le clivage politique droite/gauche. Sur ma liste, j’accueille tout le monde. » Tellement « tout le monde » que le candidat espère passer outre les guerres intestines locales qui ont mené au fiasco de LREM lors des dernières élections.
Pour la Métropole de Lyon, le message est fort. D’un côté, on trouve Fouziya Bouzerda (Modem). Avocate de formation, elle a été présidente du Sytral ; à la Métropole, elle a toujours été proche de Gérard Collomb. De l’autre, Sarah Peillon. Adjointe à la mairie du 7e arrondissement, conseillère régionale, conseillère métropolitaine, la directrice de cabinet de Jean-Louis Touraine (député En Marche du Rhône) a pourtant choisi de soutenir David Kimelfeld lors des élections métropolitaines de juin dernier.
Ailleurs dans la région, le candidat voit large. Dans le Cantal, le nom de Catherine Amalric avait déjà fait couler de l’encre lors des municipales. Après sa démission de son poste d’adjointe auprès du maire sortant (Union de la gauche), la candidate (Radical Social-Libéral) soutenue par En Marche a décidé de s’unir au candidat LR. Un choix qui lui a valu le désaveu de la présidente de son parti.
En Savoie apparaît le nom d’Arthur Empereur. Ancien collaborateur de Gérard Collomb, le Marcheur a suivi l’ancien maire de Lyon au ministère de l’Intérieur. D’autres têtes de lis…
Rassembler dans son propre parti, oui. Sera-ce suffisant pour briguer la présidence de la Région ? Bien qu’encore indécises sur la manière de le faire, il y a fort à parier que les forces écologistes et de gauche s’uniront pour une liste commune au second tour. Pour le reste, « je ne m’allie pas avec Laurent Wauquiez et le RN constitue une ligne noire à ne pas franchir selon moi », indique le candidat. La messe est dite.
« Contrairement aux autres, Bruno Bonnell va aux élections pour gagner », souligne Cyrille Isaac-Sibille. « Il y va pour être président de Région, pas pour négocier des vice-présidences. Il n’est pas dans la quincaillerie politique. » Au centre donc, le Marcheur pourrait bien se retrouver « Alone in the Dark », comme le jeu-phare d’Infogrames à l’époque où Bonnell était à la tête du leader européen du jeu vidéo.
Même pas sur le podium ?
Les derniers sondages sont unanimes : le président sortant pointe en tête devant tous les autres partis. Bien qu’il ne soit pas encore candidat, la présence de Laurent Wauquiez aux élections régionales semble assurée. Dans un sondage OpinionWay publié le 29 mars, l’ancien président des Républicains recueillerait 29% des voix au premier tour. Face à lui, Andréa Kotarac, le candidat de Marine Le Pen, récolterait 19% des suffrages. Bruno Bonnell n’arriverait qu’en troisième position, avec un score identique à celui de la candidate écologiste : si le scrutin s’était tenu fin mars, ils auraient obtenu chacun 13% des intentions de vote.
Dans une configuration où Najat Vallaud-Belkacem, candidate investie PS, conduirait la liste d’union au second tour, la gauche arriverait en deuxième position avec 27% des voix, derrière les Républicains (35%). Le RN pourrait se voir doter de 22% de suffrages tandis que les Marcheurs ne grapilleraient que 16% des voix, soit environ 25 des 204 sièges du Conseil régional.
Aux yeux de François Pirola, ancien conseiller de Najat Vallaud-Belkacem et encore proche de la socialiste, Bruno Bonnell « peut plaire à un électorat varié. Donc il va compter. Mais à lui tout seul, cela semble compliqué. Je doute qu’il puisse réaliser de meilleurs scores qu’aux élections municipales. Il y a un bloc de gauche, même s’il est désuni au premier tour. Je ne vois pas comment la force centriste va émerger. » Chez les écologistes, Fabienne Grébert est elle aussi plus que sceptique quant à la capacité du candidat à convaincre : « Bruno Bonnell est un premier de cordée déconnecté des réalités du terrain. »
« Faire de la politique sans en faire »
À peine élu député – le patron d’Infogrames avait remporté la circonscription de Villeurbanne face à Najat Vallaud-Belkacem, qui portait les couleurs du parti à la rose pour succéder à la socialiste Pascale Crozon – Bruno Bonnell annonçait déjà qu’il ne briguerait pas de second mandat.
François Pirola se veut sceptique face à ce faux match retour : « L’élection n’est pas la même que pour les législatives. Najat Vallaud-Belkacem et Bruno Bonnell sont différents. Mais lui fait de la politique sans en faire. Il dépolitise tout en espérant surfer sur la vague du “dégagisme”. Il dit qu’il sera un ambassadeur de la Région mais c’est assez étonnant de la part de quelqu’un qui a piétiné la fonction de député, jurant qu’on ne l’y reprendrait pas. »
À gauche, Fabienne Grébert n’est « pas sûre qu’il ait compris l’intérêt général et l’urgence climatique. En Marche veut rassembler au-delà des clivages droite-gauche mais ça ne rassemble personne. C’est un loupé politique. Je ne vais pas faire de la pub pour Bruno Bonnell. Il applique la politique nationale à l’échelle de la Région, à l’heure où Emmanuel Macron n’est même pas sûr de gagner contre Marine Le Pen. »
Bien à droite
Les opposants doutent des capacités du Marcheur à percer à la Région. Cyrille Isaac-Sibille, lui, préfère croire que la campagne, métamorphosée à cause du Covid-19, jouera en faveur de son candidat. « Je sais que Bruno Bonnell peut faire la surprise. La campagne sera courte et numérique. Là où des candidats comme Laurent Wauquiez et Najat Vallaud-Belkacem incarnent une vision classique de la politique, Bruno Bonnell apportera autre chose. S’il était seulement question de bonne gestion, on laisserait la Région à des fonctionnaires. Mais il faut impulser une dynamique et une vision, une âme à cette Région. »
Pour la gauche, l’âme de la Région sera « vendue à la droite » avec Bruno Bonnell. « Le vote Bonnell deviendra un vote Wauquiez à la fin », estime François Pirola. « Quoi qu’on en dise, la campagne a l’air de montrer qu’il est quelqu’un de très “droitier”. Pour les élections métropolitaines, il était allié aux Républicains. À moins de se moquer de la parole donnée, c’est un message. » Pourtant, Bruno Bonnell insiste : « La liste du premier tour sera strictement la même qu’au second. »
« Il veut gagner », confie Cyrille Isaac-Sibille. « Mais s’il ne gagne pas, je ne sais pas s’il se mettra en retrait ou si le jeu politique reprendra le dessus. C’est pour cela qu’il faut qu’il gagne. »
Réponse les 20 et 27 juin prochains.
Entretien avec Bruno Bonnell (LREM) : "Le plus beau poste, c’est président de Région"
Député depuis 2017, Bruno Bonnell avait d’emblée précisé qu’il ne briguerait pas de second mandat. Après l’échec des élections municipales et métropolitaines pour La République en Marche, l’ancien patron du géant des jeux vidéo Infogrames s’affaire à prendre la tête de la Région. Désireux d’accéder « au plus beau poste de la République après celui de président », Bruno Bonnell fait campagne au milieu de forces de gauche « qui ne sont pas d’accord entre elles » et d’un Rassemblement national dont il faut « protéger la Région ». Dans ce grand entretien, il réagit aux propos de Gérard Darmanin face à Marine Le Pen, et redéfinit la position d’En Marche sur l’échiquier politique national. Entre loi « sécurité globale », Covid et « vague verte », il explique pourquoi il faut recréer une « unité régionale ».

L’Arrière-Cour. Qu’est-ce qui a motivé votre choix de vous présenter à ces élections ?
Bruno Bonnell. J’ai une conviction personnelle : après président de la République, le plus beau poste, c’est président de Région. C’est un poste exécutif où l’on entraîne les gens dans une vision à long et court termes. J’ai fait ça toute ma vie d’entrepreneur et je trouve intéressant d’y ajouter une dimension politique. Je ne pensais pas faire partie des candidats puisqu’Olivier Véran et Olivier Dussopt étaient pressentis. C’est finalement un concours de circonstances, personne ne m’a rien demandé. Et parce que j’ai plus envie que les autres, je vais gagner. Et je veux ce poste uniquement, je ne vais pas me servir de la présidence de la Région pour accéder à autre chose.
Les Verts et la gauche essaient de travailler à une liste commune. Vous serez donc tout seul au centre ?
Je me définis comme un candidat de rassemblement. J’accueille des gens de gauche qui ne veulent pas basculer dans l’extrémisme de l’écologie politique, et des gens de droite qui n’auront pas envie de flirter avec la ligne noire du RN. Je ne regarderai pas l’étiquette politique des gens, à part pour le RN, ma ligne noire. À côté de moi, j’entends l’association des contraires, avec les écologistes et le PS qui ne sont d’accord sur rien. Le Lyon-Turin, le logement, le nucléaire : comment prétendre à une liste commune s’ils s’accordent pas sur trois éléments aussi importants ?
« Gérard Collomb a pris sa décision, j’ai pris la mienne : je ne me suis pas allié à Laurent Wauquiez. Je ne rentre pas dans des négociations d’alliance. »
Gérard Collomb s’est allié aux Républicains pour les élections municipales. Pourquoi n’est-il pas envisageable de vous allier avec Laurent Wauquiez ?
Gérard Collomb a pris sa décision, j’ai pris la mienne : je ne me suis pas allié à Laurent Wauquiez. Ma liste sera rigoureusement la même au premier tour et au second tour. Je ne rentre pas dans des négociations d’alliance.
Il n’y aura pas d’exception si le RN arrive au second tour ?
Ce n’est pas une exception : j’ai voté Chirac quand cela été nécessaire, alors que j’ai toujours voulu voter à gauche. S’il fallait défendre la Région, je me mettrais en position de résistance et de défense de mes valeurs. Mais cela n’a rien à voir avec une stratégie d’alliance qui implique de s’accorder sur les idées.
Et si l’extrême gauche parvenait au second tour ?
Il faut respecter le choix des électeurs tant qu’il s’agit d’un débat d’idées et non de valeurs. LFI a des idées que je ne partage pas mais on peut débattre. Le RN et moi, nous sommes trop éloignés en termes de valeurs.
Ces valeurs du RN ont pourtant été qualifiées de « molles » par Gérald Darmanin…
Darmanin est tombé dans le piège : qualifier Marine Le Pen de « molle » est le plus beau compliment qu’on puisse lui faire. Cela a été lu à l’envers. On a dit : « Darmanin, c’est pire que Le Pen. » Je ne pense pas. Ça voulait dire qu’elle a émoussé ses angles pour apparaître sympathique. Dans un débat, il y a une phrase qui sort, il faut l’assumer. En disant « finalement vous n’êtes pas si terrible », il voulait probablement se moquer. Mais parfois, ça ne se passe pas bien. C’est le genre de choses qui arrive. C’est en tout cas mon interprétation. Moi, je n’aurais pas employé ce terme. Il faut se méfier, c’est un calcul politique, cynique d’insincérité : par calcul électoral, elle ne dit pas ce qu’elle pense sur la sécurité ou l’immigration.
« Fabienne Grébert et Najat Vallaud-Belkacem : l’une dit vert, l’autre dit rose ; quand vous mélangez les deux couleurs, ça ne doit pas être super… »
Le RN est-il votre concurrent pour ces élections régionales ?
Non, le RN représente le seul adversaire mais ce n’est pas un concurrent pour la Région. Un concurrent, c’est quelqu’un comme Laurent Wauquiez, contre qui je me bats sur le plan des idées. C’est la démocratie.
Donc, votre concurrent pour la Région, ce sera Laurent Wauquiez et non la gauche ou les écologistes ?
J’attends aussi de voir s’il y a une union entre la gauche et les écologistes. Lorsque j’entends le discours de Fabienne Grébert qui explique qu’il faut arrêter la surproduction, et donc le développement économique, je suis sûr que Najat Vallaud-Belkacem va dire : « Mais pas du tout ! » Du coup, sont-elles ensemble ? L’une dit vert, l’autre dit rose ; quand vous mélangez les deux couleurs, ça ne doit pas être super.
Vous ne croyez pas à cette union ?
Ce n’est pas que je n’y crois pas, mais notre territoire ne doit pas être l’otage de querelles politiques issues de l’élection présidentielle. D’un côté, il y a un président sortant dont on connaît l’ambition qui ne s’arrête pas à la Région ; de l’autre, des candidats écolos ou PS qui se jaugent mutuellement pour savoir qui partira avec qui en 2022. Quant à moi, je préfère dire aux électeurs de se rassembler autour d’un projet régional. Arrêtons de jouer un match pour en jouer un autre ! Je n’ai pas d’ambition présidentielle, puisque j’ai un candidat auquel je suis loyal. En revanche, j’ai bien l’intention de prendre la place dans la Région qui mérite que quelqu’un s’en occupe.
« Il n’y a pas d’identité régionale. Laurent Wauquiez s’est contenté de planter des panneaux bleus à l’entrée des communes, comme un empereur romain plantait des aigles. »
Le favori des sondages reste pour l’instant Laurent Wauquiez. Quel bilan tirez-vous de son mandat ?
Les six dernières années ont été bien gérées façon « haut fonctionnaire », c’est-à-dire en faisant des choix rationnels, pas toujours émotionnels. Un haut fonctionnaire regarde ce que ça coûte ; un développeur regarde ce que ça coûte et ce que ça rapporte. On parle d’électoralisme mais c’est juste la logique de quelqu’un qui est habitué aux comptes publics : les vignerons, la montagne, les chasseurs… En silos ! Les richesses et les ressources ne sont pas coordonnées mais mises en compétition. En outre, il n’y a pas d’identité régionale. Laurent Wauquiez s’est contenté de planter des panneaux bleus à l’entrée des communes, comme un empereur romain plantait des aigles. Cela ne crée pas d’unité.
Comment créer cette unité régionale ?
Elle doit passer par un maillage physique – avec les transports –, virtuel – avec le développement de la 4G, de la 5G partout sur le territoire – et psychologique. Il faut rappeler aux gens qu’ils font partie d’une région dotée d’une identité régionale, départementale et même communale. La continuité administrative ne doit pas être celle des gratte-papiers mais celle des projets. On ne peut pas s’arrêter au pied des communes en disant : « Ce n’est plus nous » ! C’est pour cette raison que cela n’a pas marché avec Wauquiez : parce que la ligne Lyon-Clermont est une ligne nationale, l’entretien des lignes revient à la SNCF. Donc la réponse du haut fonctionnaire est de dire : « Ce n’est pas nous, c’est l’État, la commune ou le département. » Moi, je veux l’inverse : « C’est tout nous. » On porte la responsabilité globale du territoire, donc on fait avancer les projets sans se trouver d’excuses. Il faut identifier les atouts et les forces, qui sont considérables, pour que, de 5e région d’Europe, on arrive à monter sur le podium. J’utilise le verbe « pulser » pour donner une direction à la campagne, c’est-à-dire être positif, uni, libre et solidaire. Il n’y a pas que la « start-up nation », il y a aussi ceux que l’on doit accompagner et accueillir. La région doit aussi être européenne et visible au sein de l’Europe.
Quelles sont les urgences, les premiers axes sur lesquels il faut travailler selon vous ?
D’abord, la jeunesse. Ça ne veut pas dire que j’oublie les autres, mais on plante des graines pour les 30 prochaines années. Ensuite, le civisme, que je préfère au mot « sécurité ». Quand on est obligé d’installer des portiques dans les lycées, c’est qu’on a raté la responsabilité civique de chacun. Enfin, le développement économique. On va connaître dans quelques années un boom économique, il ne faut pas que la Région le laisse filer. On peut espérer, dans la décennie à venir, une croissance à deux chiffres. Il n’y a pas de générosité en développement économique. Si l’on n’a pas les moyens d’être solidaire, on reste dans l’incantation et pas dans l’exécution.
« Le civisme, c’est la mère des batailles pour vivre en société. On ne peut se contenter de bourrer le crâne des lycéens en ne s’occupant pas de ce qu’ils font dehors ! »
« Quand on installe des portiques, c’est qu’on a raté quelque chose » : qu’entendez-vous par là ?
Vous croyez sincèrement que les vrais bandits seront arrêtés par un portique à l’entrée d’un lycée ? J’ai un plan précis, que je dévoilerai plus tard, pour réinscrire le civisme à tous les niveaux du territoire. Le civisme, c’est la mère des batailles pour vivre en société, un équilibre entre apprentissage et autorité. Ce n’est pas mettre des « pansements de communication ». On ne peut se contenter de bourrer le crâne des lycéens en ne s’occupant pas de ce qu’ils font dehors ! On peut fabriquer un bon élève mais on doit surtout fabriquer une bonne personne. J’ai voté des deux mains la loi sur la sécurité parce qu’il y a l’article « Samuel Paty » qui protège de la haine en ligne et de la haine publique. Ça, c’est l’État. Ensuite, à la Région, il faut davantage de moyens humains au lieu d’acheter des machines inutiles qui surveillent des cours d’école.
La loi « sécurité globale » a pourtant été décriée en ce qu’elle prévoyait de punir ceux qui diffusaient des images des forces de l’ordre. Certains ont estimé qu’elle « bafouait la liberté d’expression »…
Il y a eu un débat autour de l’article 24 et on a eu la sagesse de dire qu’il allait être réécrit. Je n’ai pas vu la réécriture. En préambule, l’article garantissait la liberté d’expression et la liberté de la presse. Les gens qui écrivent les textes de loi sont très rigoureux, ils ne sont pas maladroits et il faut leur rendre hommage. Ils ont écrit cet article parce la protection des individus tombait, comme c’est de la diffusion d’image, sous le coup de la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Donc, il fallait choisir entre ne pas écrire cet article – et donc ne pas protéger les policiers – ou suivre techniquement l’imputation à la loi de 1881. C’est très technique. Ce n’est pas une maladresse mais un choix d’écriture. Comme cela a créé ce tollé, il faut qu’ils trouvent une autre loi. Mais ce qui a du sens, c’est de protéger les policiers. Cette loi est très intéressante et on l’a réduite à l’article 24. C’est l’arbre qui cache la forêt.
« Si j’étais en mesure de le faire, je supprimerais le ministère de l’Écologie et j’imposerais à chaque ministère d’avoir un secrétaire d’État à l’écologie. C’est ce que je ferai probablement à la Région. »
Vous ne voulez pas d’un second mandat de député. Pourquoi avoir tenté les municipales et vous essayer ensuite aux régionales ?
Je considère que faire respirer l’Assemblée nationale par des nouveaux venus était une chose nécessaire. Mais ma trajectoire personnelle n’est pas de faire un deuxième mandat de député, je l’ai toujours dit. Là, il est question d’autre chose. Ce n’est pas être un homme politique, c’est être un développeur. Quelqu’un qui gère et qui permet à cette chère Auvergne-Rhône-Alpes de se révéler. À la mairie de Villeurbanne, j’ai proposé un projet et je dois en tirer les conséquences… c’est-à-dire une catastrophe. Pour ces élections, LREM était en crise d’adolescence. Chacun a voulu se retrouver dans ses ambitions personnelles, et au final, on a tout perdu. On doit se réunir autour d’un projet. Je suis en train de réunir une équipe qui sera au service de la Région, et non pas une Région au service d’un homme. C’est la grosse différence.
Aujourd’hui, où se situe le parti En Marche sur l’échiquier politique ?
Le parti n’a pas bougé depuis sa création. Il dit depuis le début qu’il n’est ni à droite ni à gauche, dans un clivage politique que l’on voit de plus en plus aujourd’hui : entre les progressistes et les populistes. On ne tient pas d’autre discours. La droite et la gauche, ce sont deux visions de la société dessinées au XIXe siècle. Impossible de travailler aujourd’hui dans une société qui a figé les choses voici deux siècles ! On a été caricaturés : la « start-up nation », le « président des riches »… Mais qui a fait autant pour l’écologie ? Regardez le nombre de lois qu’on a votées pour arrêter les centrales à charbon, interdire le plastique, réduire la consommation du nucléaire à 50%. Et là, on fait la loi « climat et résilience » qui, de toutes façons, ne sera pas suffisante pour les extrémistes.
Certains citoyens se disent en effet très déçus de cette loi…
Elle permettra pourtant de franchir des pas considérables par rapport à ce qui était fait avant. Le texte va être pourvu de 5.000 amendements dont certains vont passer. On tirera le trait au bout de la route. Il ne faut pas tout voir avec des filtres écologiques de résistance systématique. La méthodologie culpabilisante n’est pas une bonne idée. L’intelligence collective n’a pas à être manipulée par des politiques dogmatiques, par une écologie politique. Encore moins sur un territoire comme Auvergne-Rhône-Alpes.
« Que les Verts soient en majorité à la Métropole casse l’élan qui, depuis presque 30 ans, fait de Lyon l’une des villes les plus attrayantes d’Europe. »
Donc, l’écologie portée par les écologistes, ça ne marche pas ?
Je trouve qu’on salit l’écologie quand on la réduit au politique. L’écologie doit encore plus filtrer dans la société, s’intégrer dans nos décisions quotidiennes. Si j’étais en mesure de le faire, je supprimerais le ministère de l’Écologie et j’imposerais à chaque ministère d’avoir un secrétaire d’État à l’écologie : au sport vert, à l’économie verte, à la santé verte… C’est ce que je ferai probablement à la Région. L’écologie doit être complètement transversale. Je suis plus vert que vert, mais ça ne suffit pas de dire « je suis écologiste », de la même manière qu’il n’est pas bon de désespérer les gens en disant qu’il y a trop de consommation. Après la période que l’on traverse, il y aura un appel à la joie. Et on ne peut pas dire que les écologistes fassent marrer les gens.
Les élections régionales seront assez déterminantes et dessineront une tendance pour l’élection présidentielle. Il y a, dans ce pays, une force de gens qui pour moitié sont découragés : la voix du RN comptera. Ensuite, ces circonstances très particulières ont mené à l’élection d’écologistes dans plusieurs grandes villes. Soit ils réussiront à convaincre, ce dont je doute, soit on verra bien que ces politiques utopistes qui veulent imposer leur vie aux gens ne marchent pas. Donc la vague verte va devenir vaguelette. La reconstruction du monde est déjà en route et elle n’est pas finie.
Faut-il comprendre que les Verts à la Métropole, ce n’est pas une bonne chose selon vous ?
Que les Verts soient en majorité à la Métropole casse l’élan qui, depuis presque 30 ans, fait de Lyon l’une des villes les plus attrayantes d’Europe. Je sais qu’aujourd’hui, la relation aux entrepreneurs est plus ambiguë. La relation au développement économique est inexistante, à l’inverse de l’obsession d’imposer des règles : pas de viande à la cantine, du vélo partout… Ils imposent une vision de la société qui n’est pas forcément celle que les gens adoptent spontanément. Tout le monde aime la nature, les animaux, le vert. Personne n’a le monopole de l’écologie ! Il n’y a pas les « gentils écologistes » et les « méchants politiques ». Avec moi, on ne fait pas de marche forcée, sinon on braque les gens. Je pense qu’il y a une voie du milieu, celle de la pédagogie, celle qui fait confiance aux scientifiques.
Vous parlez des menus sans viande. Quelles leçons tirez-vous de ces annonces ?
Le phénomène des menus sans viande est assez anecdotique. Ce qui l’est moins, c’est la méthode. C’est la même que pour les vélos, où l’on a commencé à peindre des vélos par terre, à installer des petits poteaux blancs pour délimiter les pistes cyclables, puis les bordures, et c’est devenu irréversible. Là, c’est pareil : on enlève temporairement la viande et on dira après que c’était dans le programme. Cette méthode des petits pas qui glissent vers une vision imposée me gêne. Je me dis que tout peut être comme ça. On peut se dire qu’on ne va plus délivrer de permis de construire pendant un an, qu’on remplacera les terrains préemptés par des parcs. Et petit à petit, on verra les populations décroître, l’activité s’assouplir… Assouplir le territoire, c’est l’inverse de ce que je pense.
La confiance a été durement ébranlée entre le gouvernement et les citoyens pendant la crise sanitaire.
C’est très intéressant, ce qui s’est passé dans cette crise. Même dans nos rangs, des gens ont cru qu’on pouvait jouer avec l’information. Et il y a eu un déclic : il fallait arrêter d’infantiliser la population. Dès lors, on a été absolument transparents : nombre de morts, de cas, de vaccins… Cela a beaucoup déstabilisé l’opposition, qui a de nouveau entretenu le doute autour de la véracité des informations.
« Je ne dis pas qu’on a été bons sur les masques, mais alors quoi ? On ne sauve pas la nation ? »
Olivier Véran a d’abord dit que les masques n’étaient « pas utiles » ; finalement, ils sont indispensables. C’est ce genre de contradiction qui rend difficile la confiance, non ?
Mais je n’ai jamais dit que c’était facile. Le président a repris son rôle politique, c’est pour cela que c’est important qu’il y ait un président de Région. Le politique doit faire la synthèse de l’opinion publique, des technocrates et des « technicrates », c’est-à-dire les médecins et scientifiques, et dire : « Voilà ce qu’on va faire. Oui, il y a des risques. Non, ce n’est pas 100% sûr. Oui, on fera des erreurs. » Je ne dis pas qu’on a été bons sur les masques, mais alors quoi ? On ne sauve pas la nation ? On laisse le bateau voguer en se disant que, comme on n’a pas été bons, on est mauvais de base ? Non. La grande leçon du Covid, c’est que, dans les crises, il faut un capitaine. Je suis persuadé qu’il y en aura d’autres, peut-être locales. Et tout cela est vrai pour la sécurité, pour l’immigration, pour le développement économique, pour l’écologie. Il faut des responsables politiques qui fassent des synthèses, pas de la com’.
Dans les colonnes de Libération, vous affirmiez que la crise du Covid était la meilleure chose qui soit arrivée au président. Regrettez-vous vos mots ?
C’est certain que, quand on sort des phrases de son contexte, chacune d’entre elles peut mener à des conclusions différentes. La journaliste m’a posé une question précise : « Pensez-vous que le Covid a eu une influence sur la personnalité du président de la République ? » J’aurais pu dire que je m’en foutais, mais je pense que cette influence a été positive. Elle a donné au président un surcroît d’humanité, de sensibilité, un sens politique plus affirmé. Il se trouve que, dans ma vie, j’ai traversé des épreuves que je ne souhaite à personne, comme je ne souhaite le Covid à personne. Ces épreuves m’ont transformé. Donc, quand on me demande si une épreuve de vie transforme quelqu’un, je dis oui. Quand je dis que c’est la meilleure chose qui puisse arriver à quelqu’un, non seulement je suis fier de le dire, mais je suis aussi fier pour la personne. Si l’on me demande si je suis fier que mon fils soit mort, évidemment que non ; mais si on me demande si cela a eu un impact sur ma vie, c’est la meilleure chose qui me soit arrivée en termes de personnalité. À mes yeux, il est dès lors très responsable d’affirmer que je sais, par expérience, que certains bouleversements transforment les hommes. Et je suis heureux que le président de la République ait su réagir en président et en homme face à ces terribles événements. Voilà le sens de mon propos. Je suis totalement imperméable aux petites phrases assassines.
Vos opposants n’ont pas manqué de vous qualifier d’« irresponsable » et de « pas sérieux ». Cela ne vous discrédite-t-il pas ?
Pour moi, les gens qui ne sont pas sérieux ce sont ceux qui utilisent ces petites phrases comme justifications de leur attitude politique. Je ne suis pas dans la mascarade quand je dis qu’un événement aussi important que le Covid bouleverse des gens émotionnellement, y compris le président. Et si l’on s’élevait un peu avec des débats qui intéressent les gens plutôt que de faire de la politique-réalité comme des shows télévisés ?
Ce n’est pas la première fois que l’on vous reproche de ne pas être « sérieux » ou « assez impliqué » : au début de votre mandat de député, les statistiques montraient que vous n’étiez pas très actif dans les propositions de loi.
Moi, je regarde mon vrai bilan au lieu de lire simplement des statistiques. J’ai été chargé de mission pendant presque neuf mois sur les territoires d’industrie, qui a mené à une réorganisation industrielle de nombreux sites en France. J’ai été vice-président de la loi qui a transformé l’entreprise française en introduisant dans le code civil la notion d’impact environnemental et sociétal. J’ai coécrit avec François Ruffin – vous voyez que je ne suis pas sectaire – un rapport capital sur les métiers du lien. J’ai été le porte-parole sur de très nombreux plateaux pour faire de la pédagogie. Je ne me justifie pas, j’ai une conscience extrêmement tranquille. L’Assemblée nationale, c’est comme une équipe de foot. Il y a des mecs qui marquent des buts, des mecs qui défendent. Je n’ai pas besoin de faire des effets de manche dans l’hémicycle.
Propos recueillis par Romane Guigue