
À entendre l’opposition, certains fonctionnaires et acteurs régionaux, sous la doudoune rouge du Petit Chaperon Laurent Wauquiez se cacherait en fait « le Grand Méchant Loup ». Ou, tout du moins, un
« mini-Trump »
, « manipulateur »
, « prédateur »
, « roi de l
’esbroufe »
. Il reste pourtant le favori des élections régionales qui se tiendront les 13 et 20 juin, et pourrait bien réécrire à son profit la fin du conte de Perrault. Une enquête de Romane Guigue, illustrée par l’inspirée Sandrine Deloffre.Les petits pots de beurre
Bien élevé, le Petit Chaperon porte à sa mère-grand un petit pot de beurre. De quoi faire plaisir à la vieille dame, qui ne manquera pas de rendre la pareille à sa petite-fille. Lorsqu’il s’agit de faire plaisir, le « Grand Méchant Wauquiez » sait devenir un gentil Petit Chaperon, avec à son côté Ange Sitbon et ses précieux conseils. On prête à ce dernier, surnommé le « Monsieur Élections » de l’UMP puis des Républicains, une connaissance démoniaque de la carte électorale. À la Région Auvergne-Rhône-Alpes, il occupe le poste de responsable des relations avec les élus et les territoires. En d’autres termes, c’est par lui et son équipe, constituée de militants ou sympathisants LR, que transitent les subventions.
À l’arrivée d’Ange Sitbon, les élus d’opposition s’inquiétaient du « risque clientéliste » d’un tel système. Aujourd’hui encore, Jean-François Debat, président du groupe Socialistes & Démocrates, est vent debout contre les méthodes du président de Région : « Laurent Wauquiez a une logique et un fonctionnement de prédateur politique, qui utilise la Région pour servir une clientèle électorale. Il a financé des associations de chasseurs ou des associations très proches de l’extrême droite, au détriment de projets sociaux ou environnementaux. Il prend de l’argent qui pourrait aller aux chômeurs ou dans les quartiers populaires pour financer de mini-projets locaux sur lesquels il fait apposer le logo de la Région. »
Son homologue écologiste, Fabienne Grébert, n’est pas plus indulgente : « On a entendu des bruits de couloir à propos d’Ange Sitbon. Mais l’opposition ne pouvait pas grand-chose. En commission, fermée au public, les dossiers sont très vite votés : ce sont des millions d’euros accordés en 30 minutes. On ne peut pas faire notre travail d’opposition. En fait, il n’y a pas d’opposition : il décide seul de ce qu’il veut faire. »
Ce fonctionnement clientéliste a beau fai…
re s’étrangler l’opposition comme de nombreux fonctionnaires régionaux à qui l’on demande de le mettre en œuvre, l’opposition n’a jamais réussi à en faire un sujet d’intérêt pour les citoyens régionaux. Même la polémique sur les 9.000 euros de salaire mensuel d’Ange Sitbon, pourtant épinglé par la Chambre régionale des comptes et récemment au cœur d’une enquête du parquet national français, n’a guère ému au-delà des parois de verre du siège de la Confluence. Au point que le cabinet de Laurent Wauquiez se dise
« très serein sur le rôle d’Ange Sitbon ou l’attribution des subventions » et ne voie
« pas la peine » de répondre à nos questions sur ce point.
De grands yeux pour mieux voir les panneaux
Ce que les citoyens ont vu, en revanche, ce sont les fameux panneaux bleus à l’effigie de la Région. Jamais aucune subvention n’est accordée sans qu’elle ne soit associée à ces derniers, à apposer de façon bien visible des passants. C’est un peu la signature de Laurent Wauquiez, qui laisse son empreinte dès qu’il le peut. « Ça, pour communiquer, il y a du monde… », glisse un élu régional.
« C’est un manipulateur », estime Fabienne Grébert. « Il se presse pour défendre les territoires ruraux, il en fait son cheval de bataille. Mais qu’a-t-il réellement accompli ? Les territoires sont-ils désenclavés ? » Présidente du groupe Rassemblement des citoyens écologistes et solidaires, elle est aussi la candidate choisie pour porter le projet des écologistes. Pour elle comme pour Jean-François Debat, le président parle plus qu’il n’agit. « Son bilan sur les lignes ferroviaires qui ne sont plus adaptées, c’est zéro. Il y a eu des annonces mais rien n’a avancé dans les grands dossiers. »
Jean-François Debat accuse le président Wauquiez de ne « pas préparer la Région pour les années à venir. Il mène une politique de droite très dure sans vision à long terme. » Comme Fabienne Grébert, le maire de Bourg-en-Bresse cite l’exemple de la montagne : « Là où il installe des canons à neige et ne pense qu’aux trois mois de ski alpin, il serait préférable de penser à l’attractivité pour des touristes quatre saisons. »
En solo
Laurent Wauquiez jouit d’une impressionnante notoriété : l’ancien président des Républicains à l’échelle nationale atteint 72% de notoriété selon un sondage RégioTrack Opinion Way pour Les Échos et Radio Classique, publié à la fin du mois de janvier 2021. « Ce n’est pas de ça qu’il faut se méfier : ce ne sont pas les sortants qui ont été victorieux à la Ville comme à la Métropole de Lyon », veut cependant croire Bruno Bonnell, député de Villeurbanne, récemment investi tête de liste officielle En Marche. Sous la bannière du parti présidentiel, il rassemblera Agir et le MoDem. Un soutien de moins pour Laurent Wauquiez… « C’est une stratégie nationale de s’allier au parti présidentiel », justifie Cyrille Isaac-Sibille, député de la 12e circonscription du Rhône. « Même si certains centristes ont pu soutenir Laurent Wauquiez à un moment, c’est une période révolue. Son bilan n’est pas satisfaisant, notamment en matière de formation. Il est donc compliqué de s’imaginer partir avec lui. »
Si, du côté de Laurent Wauquiez, la campagne n’est officiellement pas lancée, « il n’a jamais cessé d’être en campagne », grince un élu de l’opposition. Surtout depuis qu’il a dû quitter la présidence des Républicains à la suite du fiasco aux européennes du candidat qu’il avait imposé, François-Xavier Bellamy, relégué en 4e position avec 8,5% des voix.
Pour Alexandre Vincendet, maire de Rillieux-la-Pape et président des Républicains du Rhône, rien ne presse et, en l’absence d’alternative claire, il n’y a aucun intérêt à démarrer la campagne trop tôt : « Le président est pleinement mobilisé pour sauver les vies physiques et économiques. Je ne pense pas qu’il serait bienvenu qu’il se mette en campagne maintenant. »
Face à lui, l’indécise opposition
Pour les écologistes, en revanche, le temps est largement venu. Ils ont même démarré la campagne l’été dernier, en suivant la méthode qui a porté ses fruits aux municipales : le rassemblement de six formations écologistes (Europe Écologie Les Verts, Alliance écologiste indépendante, Génération Écologie, Génération.s, Cap 21 et le Mouvement des progressistes), tandis que le choix des candidats, du projet et de la stratégie est passé au vote de leurs 3.300 sympathisants. Ce sont ainsi eux qui ont choisi Fabienne Grébert, élue régionale et municipale d’Annecy.
Membre de Nouvelle Donne en 2015, elle a finalement laissé sa carte pour porter des projets citoyens. Inconnue du grand public, Fabienne Grébert est consultante et formatrice en matière d’achats responsables, de nouveaux modèles économiques et de responsabilité sociétale des entreprises, et compte bien faire d’Auvergne-Rhône-Alpes « la première région à réussir sa transition écologique ». Elle appuie sa conviction sur un sondage sur mesure commandé par le pole écologiste à Harris interactive, et qui fait des écologistes la force d’opposition avec le plus fort potentiel de vote : 36% des électeurs régionaux interrogés envisagent de voter au premier tour pour une liste écologiste autonome (contre 31% pour une liste d’union avec le PS et 24% pour une liste d’union avec LFI). Sauf qu’une opposition divisée n’a aucune chance de l’emporter au second tour face à un Laurent Wauquiez solidement implanté (48% des électeurs régionaux pensent qu’un président LR serait une bonne chose, contre 45% pour une présidente écologiste).
Encore faut-il trouver une stratégie pour remporter les élections. Et là, le bât blesse. Si l’opposition s’accorde à dire que l’époque du « Grand Méchant Wauquiez » doit prendre fin, écologistes et socialistes n’arrivent pas à se mettre d’accord pour une alliance au premier tour. Si les écologistes assurent vouloir le rassemblement, certains apportent des nuances : « Ce que l’on dit depuis le début et qui a parfois été mal interprété, c’est que le projet est plus clair lorsqu’il est porté seul au premier tour », indique Thomas Dossus, sénateur du Rhône (EELV). « On peut présenter un programme plus lisible. On a plus de voix que lorsque l’on fait des compromis. »
Un proche de Yannick Jadot, venu soutenir la candidate écologiste vendredi 12 février à Lyon, confiait : « S’allier au PS ne garantit pas que l’on ramasse plus de voix. Ce serait peut-être même le contraire. » Au sein du parti à la rose, on râle pourtant face à une alliance qui tarde à venir. « Partir sans alliance au premier tour n’est pas le scénario le plus favorable mais ça n’empêchera pas la victoire », se rassure Jean-François Debat. « Des discussions sont en cours, et c’est louable de la part de Fabienne Grébert », commente le socialiste Cédric Van Styvendael, élu en juin dernier maire de Villeurbanne. « Mais je suis la preuve que lorsque l’on s’allie (au deuxième tour, NDLR), ça marche. Quant à savoir qui aura le charisme pour affronter Laurent Wauquiez, j’ai mon idée. »
Le retour de Najat Vallaud-Belkacem
Alors qu’elle s’est faite plutôt discrète dans la région depuis son échec aux législatives en 2017, Najat Vallaud-Belkacem devrait en effet accomplir son retour et incarner les espoirs des derniers socialistes. Lors d’une conférence de presse, Jean-François Debat a annoncé qu’elle « ferait partie de l’équipe » sans toutefois préciser le rôle qu’elle tiendrait. Son entourage ajoute cependant qu’elle est « la seule à pouvoir faire le match face à Laurent Wauquiez, alors que Fabienne Grébert est en déficit de notoriété ».
Sans se déclarer officiellement, l’intéressée a appelé ce week-end dans le JDD à faire des régionales « le laboratoire de l’union », y compris avec la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon, et en Auvergne-Rhône-Alpes à « mettre fin à la mandature d’un mini-Trump, Laurent Wauquiez ». Sans forcément convaincre du côté des écologistes : « Le Parti socialiste joue un jeu nauséabond », s’agace un proche de Fabienne Grébert. « Ce n’est pas possible d’affirmer que ce qui compte, c’est le projet, et dans le même temps agiter le chiffon Najat Vallaud-Belkacem. Si elle est candidate, on imagine mal qu’elle accepte de se retrouver en deuxième ou troisième position sur la liste. »
« Les Verts et les socialistes vont a priori se compter », commente Cyrille Isaac-Sibille. « J’imagine mal une alliance entre les écolos qui ont les chevilles qui enflent et les socialistes qui, eux, ont un problème existentiel. » Sur ces élections régionales plane ainsi l’ombre de la présidentielle. Forcément, les tendances de chaque région auront vocation à réconforter les partis dans leur campagne. « Si les écolos se cassent la figure aux régionales, ce n’est pas un bon présage pour les présidentielles, mais il n’y a pas de raison que cela arrive, loin de là », confie un proche de Yannick Jadot.
Ce jeudi 25 février, les écologistes officialiseront leur stratégie de premier tour, après le vote de leurs sympathisants. Tout porte à croire qu’ils choisiront l’autonomie, tout comme la France insoumise qui a choisi comme têtes de liste Magali Romaggi, agrégée de lettres classiques, et Gabriel Amard, ancien maire de Viry-Châtillon (Essonne) et gendre de Jean-Luc Mélenchon. Soit trois listes à gauche, autant que les petits cochons qui sont venus à bout du « Grand Méchant Loup » ? Sans union, il y a des chances que cela reste un conte pour les enfants.
Romane Guigue