
Nous avons posé la question « Êtes-vous féministe ? » aux candidat.e.s à la Mairie de Lyon et à la Métropole. Nous leur avons également demandé leur définition de ce mot. Leur programme en la matière, aussi. Résultat : les réponses plus ou moins gênées suscitées par ces questions montrent qu’il n’existe pas toujours de véritable prise de conscience des inégalités femmes-hommes. Une enquête signée Julie Hainaut – qui a choisi l’écriture inclusive pour traiter ce sujet – illustrée par une Lyonnaise talentueuse, Garage Deloffre (Les cartes de désavœux, éditions Lapin).
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Petit aperçu dans ce mini podcast signé Ophélie Gimbert et Julie Hainaut.
Qu’on soit d’accord : il ne suffit pas d’affirmer être féministe pour l’être réellement. Néanmoins, les réponses, les silences, les réactions à cette question montrent que le mot peut parfois encore faire peur, que la matière n’est pas toujours pensée, comprise, appréhendée, que la prise de conscience des inégalités femmes-hommes est encore parfois lointaine. Parce qu’il s’agit d’une réalité : les femmes sont discriminées. « Depuis des millénaires, les femmes sont dominées, assure Thérèse Rabatel, adjointe au maire de Lyon, déléguée à l’égalité femmes-hommes et aux personnes en situation de handicap. C’est la seule discrimination qui affecte une majorité de la population : 53 %. C’est un problème de patriarcat, un problème systémique, un problème de société profond, et non un fait divers. » Parce que dans le féminisme, comme dans bien d’autres luttes pour l’égalité, la sémantique et la maîtrise des concepts sont importantes pour servir la cause, voici un petit rappel liminaire : être féministe, ce n’est pas être contre les hommes, ce n’est pas non plus vouloir la supériorité des femmes sur les hommes, c’est avoir conscience des inégalités de genre, c’est vouloir l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. La définition étant posée, voici les réponses parfois surprenantes des candidat.e.s qui ont accepté de nous répondre.
Il y a les gêné.e.s, celles et ceux …
De la confusion, du mélange des genres, de l’espoir
« Il est nécessaire de s’engager pour que les normes sociales ne reposent plus sur une vision machiste, lance Grégory Doucet, candidat EELV à la mairie. Nous sommes dans une société patriarcale. Je suis féministe, j’essaie de l’être au quotidien. L’égalité femmes-hommes est une valeur fondamentale. » Même son de cloche chez son acolyte, candidat à la Métropole, Bruno Bernard : « Cela fait partie de notre socle de valeur écologiste. Ça fait 30 ans que chez les Verts, on l’a intégré. » Tous deux s’accordent à dire que « s’il ne faut pas en rester au symbole, ce dernier est important, il a du sens », en référence notamment au choix de François-Noël Buffet, candidat LR à la présidence de la Métropole, qui a présenté 14 têtes de listes masculines. « Il s’est justifié en disant ne pas vouloir faire de marketing féministe : comment cet argument peut-il encore être audible aujourd’hui ? » Interrogé à ce sujet, le candidat LR se déclare féministe et affirme rejeter ce « procès en sorcellerie ». La référence aux sorcières démontre que son féminisme n’est pas si limpide, la sorcellerie étant, historiquement, une affaire de femmes ; Mona Chollet, dans son essai remarquable La puissance invaincue des femmes, décrit parfaitement « l’image repoussoir, la représentation misogyne » de la sorcière. Sans surprise, quand on interroge François-Noël Buffet sur sa définition, sa réponse laisse perplexe : « Je ne me suis jamais interrogé sur la définition du féminisme tellement les choses sont naturelles pour moi » – le livre de Julia Pietri, On ne naît pas féministe, on le devient lui aura probablement échappé – tout en affirmant que « nous ne sommes pas dans une société patriarcale mais dans une société mal élevée ». Confusion, malaise. Le candidat avoue aussi ne pas avoir échangé sur cette thématique avec le candidat LR à la mairie, Etienne Blanc, ni savoir « s’il a un programme particulier là-dessus » mais « imagine bien » qu’il est en phase avec sa vision. Loupé. Celui-ci compare le féminisme au trotskisme, tout simplement : « Je ne suis pas féministe. Le féminisme est un excès dans une prise de parti dans la défense des femmes. Le féminisme n’est pas vouloir l’égalité entre les hommes et les femmes. C’est vouloir que la femme, par la reconquête de droit, aie une place prépondérante par rapport aux hommes. Il y a une forme de militantisme féministe dont l’objet n’est pas tant la protection des femmes ou les droits des femmes que la destruction d’un système et d’une organisation sociale. Comme le trotskisme : c’est la destruction d’une société et parfois même d’une civilisation. » Confusion, malaise.
Le RN contre "la communautarisation féministe"
Le manque de cohérence et de concertation entre les deux candidats LR se retrouve chez les candidats du RN, avec un supplément de stigmatisation. « Je suis féministe et Andréa Kotarac l’est aussi, nous avons une sensibilité commune sur le sujet : nous sommes sur du féminisme pratique, pas idéologique », précise Agnès Marion, candidate à la mairie. Comprendre : combattre pour les droits des femmes mais pas toutes. « Des femmes en France ne peuvent pas s’habiller comme elles le veulent, se font traiter de ‘’pute’’ par la population issue de l’immigration, reprend-elle. Je suis allée dans le VIIème et le VIIIème arrondissement de Lyon dans des cafés où je ne peux pas m’asseoir si je ne suis pas accompagnée d’un homme. » estime-t-elle. De son côté, Andréa Kotarac, candidat RN à la présidence de la Métropole, « n’aime pas le terme et constate quelque chose de dangereux pour la société : la communautarisation, pas seulement ethnique ou religieuse, mais celle qui peut être féministe dans le sens où les communautés font d’abord primer leur combat sur les autres. »
Chez Lyon en commun, le féminisme « est un véritable axe de (notre) campagne, il est un principe d’égalité fondamental », martèle Nathalie Perrin-Gilbert, candidate à la Mairie de Lyon et dans la circonscription Lyon-Sud pour la Métropole. Du côté des candidats LREM ou dissidents LREM, si David Kimelfeld se déclare sans hésiter féministe dès la première question, « l’avouer » semble plus difficile pour Georges Képénékian, qui après un détour par ses origines arméniennes et son métier (médecin), consent l’être, avant de finir par préciser que « cette question ne devrait plus se poser, elle devrait être naturelle. En attendant, il faut se battre ». Tous deux ont travaillé avec Thérèse Rabatel sur ces questions, tous deux affirment qu’il faut être irréprochable en interne en premier lieu. À la question sur le fait d’avoir ou non été témoin de sexisme, Kimelfeld répond : « Oui. Pas sur des faits précis, mais il y a des phénomènes qui passent malheureusement encore inaperçus. » Et Képénékian de bafouiller un « ah, mais, je ne vais pas, enfin, comment, je n’aurais pas l’outrecuidance de… ». Nous n’aurons pas la fin. Nous aurons néanmoins la vision de Yann Cucherat pour qui « le féminisme peut avoir un côté péjoratif lorsque l’on est jusqu’au-boutiste » et celle de Gérard Collomb : « Si je ne suis pas féministe, ma femme l’est. » Ok boomer.
Marion Ghibaudo, chargée de prévention chez Filactions (association de lutte contre les violences conjugales et sexistes) ne semble pas surprise. « Se dire féministe, c’est comprendre le sexisme permanent, l’invisibilisation des femmes, lutter contre les violences faites aux femmes. C’est comment, au quotidien, je mène des actions pro-actives dans ma façon de parler, d’écrire, dans ma connaissance des statistiques genrées de la ville dans tous les domaines, je parle de harcèlement de rue, de sans-abris (la pauvreté ne touche pas de la même façon les hommes que les femmes) etc. C’est bien de mettre en place des actions positives, mais c’est logique puisque c’est l’application d’une politique d’État. Il faut que les propos et les comportements suivent. » Même constat pour Gwendoline Lefebvre, féministe revendiquée, quatrième de la liste La Gauche unie pour la Métropole, circonscription Lyon-Ouest, et co-présidente du comité de soutien de Renaud Payre : « Le travail sur l’égalité femmes-hommes est une tâche de longue haleine car malgré toutes les bonnes volontés, il faut changer les mentalités. » Et Malika Haddad-Grosjean, troisième de la liste Lyon en commun pour le Ier arrondissement, d’ajouter, en faisant référence au maire sortant : « Quand on fait le choix d’une politique néo-libérale, qui produit de fait des inégalités, on ne peut pas se dire féministe. »
Une charte, deux visions
La ville de Lyon a signé la Charte européenne pour l’égalité entre les femmes et les hommes en 2012. Deux plans d’actions comprenant près de 150 mesures ont été menés (2012-2014 et 2016-2019). Ils ont été réalisés à hauteur de près de 75 % et ont notamment financé la création de cinq hébergements d’urgence pour les femmes victimes de violence. Ils ont aussi permis de former à l’égalité des agent.e.s et des élu.e.s. La plupart des candidat.e.s (dont celles et ceux de LREM et de ses dissidents, d’EELV, de la Gauche unie, de Lyon en commun) reconnaissent un engagement fort en la matière, tout en soulignant que le chemin dans la lutte contre les inégalités est encore long. « Nous sommes en retard en France sur la question du féminisme, assène Sandrine Runel, candidate La Gauche unie à la mairie. Il nous faut une ville protectrice. Il est nécessaire que les municipalités aient une délégation à l’égalité femmes-hommes. » Elle-même se déclare féministe, tout en soulignant que Thérèse Rabatel « se sent peu soutenue dans sa délégation, isolée dans les actions qu’elle a pu mener. » Une information que Thérèse Rabatel a confirmée lors de notre entretien. « J’ai traversé des moments difficiles, notamment quand je suis montée au créneau pour le Prix Lumière, où seuls des hommes étaient récompensés. J’ai conquis ma place petit à petit, ça n’a pas été facile mais j’ai constaté au fil de ces années des progrès de la part de tout le monde au sein de la mairie, un changement de mentalités. Les choses avancent, et j’espère qu’après moi, des actions continueront à être menées, c’est nécessaire. » Pour Renaud Payre, candidat La Gauche unie à la Métropole, qui se déclare également féministe : « Gérard Collomb a pris toute une série de mesures en matière d’égalité. Il était le bon maire des années 2000. En revanche, aujourd’hui, nous ne sommes pas dans le même degré de conscientisation. » À l’opposé, certains ne se sont pas véritablement penchés sur ce qui a déjà été entrepris. « Cette charte est un coup de com’ du maire de Lyon, dénonce Etienne Blanc. J’ai regardé les titres, on est vraiment dans un recyclage. Tout le monde y va de sa mesurette. C’est un sujet trop sérieux pour être traité légèrement. J’ai énormément travaillé sur cette question. » Le candidat affirme tout de même que « le féminisme est la supériorité et la priorité données à la situation de la femme ». Thérèse Rabatel, qui a travaillé d’arrache-pied sur ces questions complexes pendant les deux derniers mandats du maire sortant, appréciera.
Quid des actions ?
A l’heure où nous bouclons ces lignes, nous n’avons pu obtenir les programmes de certain.e.s candidat.e.s en matière de droits des femmes, car « pas encore établis » ou « en cours ». À moins de trois semaines du premier tour, donc. Parmi les candidats les plus au fait de ces questions-là, les Verts et la Gauche unie se démarquent par la volonté d’établir un plan de gender mainstreaming (qu’on traduit généralement par « approche intégrée du genre »), dont Grégory Doucet reprend d’ailleurs la définition : « Ce qui nous importe, c’est d’intégrer la question de l’égalité femmes-hommes à tous les niveaux de la politique municipale via une budgétisation sensible au genre. C’est-à-dire en analysant précisément à quel public (femme ou homme) bénéficient nos politiques et ajuster notre budget pour garantir un équilibre ». Du côté de La Gauche unie, Renaud Payre décline son programme « autour de réponses et de solutions à trois urgences : celle de l’égalité sociale et territoriale, celle de la transition écologique et de l’urgence démocratique dans la pratique de nos institutions. Les femmes sont les plus affectées par une série de ces enjeux. Nous entendons faire en sorte que l’égalité femmes-hommes figure dans tous les aspects de la Métropole. » Notons que si le gender mainstreaming constitue un outil intéressant pour limiter les discriminations, il n’est utile que s’il est intégré dans des programmes d’actions ambitieux, et évalué régulièrement.
Concernant les violences sexistes et sexuelles faites aux femmes, toutes et tous s’accordent plus ou moins à dire qu’il est nécessaire d’augmenter le nombre d’hébergements d’urgence. Etienne Blanc « n’a pas de chiffre en tête. Le meilleur moyen de raisonner là-dessus, c’est de prendre le nombre de cas, de lisser ça sur plusieurs mois et d’y consacrer les moyens correspondants ». Une simple règle mathématique, en somme. « On est en train de créer des solutions », nous a répondu Yann Cucherat. La Gauche unie envisage la création de « 20 logements en trois ans ». David Kimelfeld veut « créer une Maison des femmes » (nous n’avons pas obtenu de réponses sur le fonctionnement ni sur le nombre de places de cette future structure). Quant à Georges Képénékian, il n’avance « aucun objectif chiffré pour le moment ». Grégory Doucet souhaite créer une cellule pour recueillir les témoignages d’agressions et de harcèlements sexuels, pour libérer la parole. Une mission déjà menée par des associations lyonnaises. « Elles font déjà un beau travail, il faut continuer à coopérer avec elles, mais il faut que ce soit la ville qui porte ce combat, affirme-t-il. La responsabilité vis-à-vis des situations de harcèlement ou d’agressions incombe avant tout à la municipalité. Beaucoup de femmes ne portent pas plainte aujourd’hui à la suite de violences, par gêne, par peur, par honte, ou parce qu’elles se sentent responsables. Sans parler des plaintes classées sans suite. On a besoin de mécanismes d’intermédiation pour faire évoluer les mentalités, montrer aux agresseurs que c’est intolérable, montrer aux victimes qu’on leur reconnaît le statut de victimes. » Une vision précise et réelle des violences sexistes et sexuelles que ne semble pas partager Etienne Blanc. « J’imagine que lorsqu’une plainte est déposée, une enquête est réalisée », lance-t-il, tout en condamnant fermement ces actes : « Cette violence est faite aux femmes car la femme est souvent en situation de faiblesse. Sur le plan physique, elle est parfois en situation d’infériorité par rapport à un homme plus costaud, plus fort. » Simone de Beauvoir apprécierait.
Dans les transports et les rues, toutes et tous envisagent aussi d’agir pour faire cesser le harcèlement, les agressions, les viols. Une police intercommunale pour David Kimelfeld, un système d’alerte déclenchant l’intervention d’agents qualifiés pour EELV, une brigade des incivilités et une augmentation des dotations pour le fonctionnement du Sytral de 80 millions d’euros par an pour la Gauche unie, de la vidéosurveillance en veux-tu en voilà pour LR. « Ce n’est pas avec des caméras de surveillance qu’on va empêcher les femmes de se faire insulter, toucher, agresser », tacle Sandrine Runel.
Concernant l’éducation et la sensibilisation des plus jeunes, toutes et tous s’accordent aussi à dire que c’est nécessaire. Idem pour l’augmentation du nombre de crèches à horaires adaptés, pour la parité, pour l’augmentation des noms de rues et places dédiées aux femmes. En prime, EELV s’engage à veiller à « ce que les publicités sexistes ou dénigrantes n’aient pas leur place à Lyon ».
« Sur la prise de conscience, les choses évoluent. Sur les violences, non. »
« Sur le bilan général, je pense qu’on est au milieu du chemin, estime Thérèse Rabatel. Sur la prise de conscience, les choses évoluent. Sur les violences, non. On ne peut pas dire qu’il y ait plus de violences faites aux femmes qu’autrefois ; elles ont toujours été présentes, nombreuses. Parce que les violences faites aux femmes sont systémiques, patriarcales. » Aujourd’hui, les inégalités femmes-hommes perdurent. Les demi-mesures ne suffiront pas. « Cela devrait être une cause nationale », note Sandrine Runel, qui n’estime d’ailleurs pas Gérard Collomb féministe. Tout comme David Kimelfeld : « Je ne crois pas que Gérard Collomb soit féministe. J’ai le souvenir qu’en 2008-2009, alors que j’étais vice-président à l’économie et que je lui présentais un travail assez avancé sur les propositions en terme d’entreprenariat au féminin, je sentais bien que ça ne résonnait pas beaucoup chez lui. Un autre épisode me conforte dans cette idée qu’il n’est pas féministe : c’est celui des hébergements. Pour faire des déclarations sur les violences, il est là, mais quand on a l’occasion d’ouvrir des hébergements, il refuse de se pencher sur la question, considérant que cela dégraderait l’attractivité de la ville. » Et de Grégory Doucet de conclure : « Être féministe, ce n’est pas qu’une question d’énonciation, c’est aussi une question de comportement dans la vraie vie. Je crois fondamentalement en la cohérence entre les valeurs qu’on défend ou promeut et nos actions au quotidien. » Le chemin vers l’égalité nous concerne toutes et tous. La situation des femmes s’est améliorée sur certains points mais des inégalités persistent et les droits acquis demeurent fragiles. En avoir conscience est un premier pas. Agir, un deuxième.
Une réponse sur “Les candidat.e.s sont-iels féministes ?”
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