fonctionnaire et ce qu’il a fait pour la grande compagnie maritime MSC (
fondée par des cousins germains de sa mère, NDLR), à celle des fraudes massives aux subventions agricoles en Corse, à celle des sondages de l’Élysée… et à beaucoup d’autres, moins médiatiques car elles concernent de petits élus.
Le fait d’être partie civile représente-t-il aussi un enjeu financier important ?
Non. C’est vrai que, dans certaines affaires, il y a pour Anticor des dommages et intérêts et des frais d’avocat. Par exemple, dans l’affaire qui concerne les achats de votes à Corbeil-Essonnes, nous avons obtenu 30.000 euros mais ce n’est pas ça qui finance l’association. Celle-ci dépend essentiellement des adhésions et des dons.
Vous avez alerté quant au retard pris par le gouvernement pour annoncer sa décision. Redoutez-vous qu’elle soit négative ?
De toutes façons, ce sera une décision politique, car notre dossier est carré. Évidemment, s’il y a refus, cette décision sera attaquée devant le juge administratif, mais on peut perdre un an. Néanmoins, s’afficher en conflit avec Anticor serait-il vraiment une bonne chose pour le Premier ministre ? Je pense qu’en bonne rigueur républicaine, il pourrait ne pas trop se demander si cela plaît à ses amis, et signer.
Si l’agrément d’Anticor est aujourd’hui en suspens, c’est aussi parce que l’association a toujours été fragile, traversée par des divisions internes qui, cette année, se sont étalées dans la presse. Et parce qu’on lui reproche un manque de transparence vis-à-vis de son principal donateur.
Anticor est à la fois forte et fragile. Forte parce qu’on est 4.500, qu’un certain nombre de juristes et de bénévoles travaillent avec nous, quasiment dans tous les départements, et que nous jouissons surtout d’une vraie crédibilité qui tient aux affaires dans lesquelles nous sommes intervenus. Nous sommes aussi fragiles, c’est vrai, d’abord parce que nous dépendons de l’agrément mais aussi parce que nous avons fait vœu d’indépendance. Par rapport à des associations comme Transparency International, qui acceptent le financement par de grandes entreprises, nous sommes relativement pauvres.
Quant aux dissensions que vous évoquez, c’est un indice – dans un premier temps, du moins – de vitalité démocratique. Cela part d’un conflit interne : certains chez nous estiment que la vie politique est tellement dégradée qu’il ne faut plus accepter la présence, chez Anticor, de personnalités élues en charge de responsabilités. D’autres, en revanche, jugent que c’est dans l’ADN d’Anticor, fondée à l’origine par des élus, que d’essayer d’améliorer la confiance entre les citoyens et une partie au moins des politiques. Il y a eu un débat, un vote ; les seconds l’ont emporté. Par la suite, neuf personnes appartenant à la minorité ont décidé d’assigner Anticor et de demander 50.000 euros de dommages et intérêts, ce qui est à mon avis à la limite de l’abus de droit. Ils ont diffusé de fausses informations en affirmant qu’un de nos donateurs, plus généreux que les autres, contribuerait au tiers de notre budget. En réalité, c’était un peu plus de 15% l’année dernière, et tout au plus 10% les années précédentes. Nous considérons que ces dons sont un acte militant et que nous n’avons pas à dévoiler son identité.
« Ce qui a le plus affecté ce quinquennat, c’est la porosité entre les intérêts publics et privés. On ne remarque pas de grand progrès en matière de lutte contre la corruption. »
La CNIL vient de vous donner raison sur ce point. En matière de lutte contre la corruption, quel bilan faites-vous d’Emmanuel Macron au pouvoir ?
Un bilan contrasté. Au début du mandat, on a vu apparaître une législation contre la corruption, qui avait été une condition du soutien de François Bayrou, mais qui en réalité ne prend pas la mesure de tous les enjeux. Plus tard, des ambiguïtés dans le pouvoir sont apparues, notamment à partir de l’affaire Benalla. Si ses dérives ont fait l’objet d’un rapport sévère au Sénat, les jugements demeurent inexistants, que ce soit sur les violences lors de la manifestation ou sur son implication dans l’affaire des emprunts russes. Il y a aussi une situation de déni dans l’affaire Ferrand, aucune conséquence n’a été tirée et on joue la montre. Je pense que ce qui a le plus affecté ce quinquennat, c’est la porosité entre les intérêts publics et privés. Donc, au final, on ne remarque pas de grand progrès en matière de lutte contre la corruption.
Si l’on fait le bilan sur un temps un peu plus long, depuis la création d’Anticor, la lutte contre la corruption a-t-elle fait des progrès en France ?
Incontestablement. Au début de la Ve République, la magistrature n’existait pas en tant que telle et n’osait pas ou peu s’attaquer aux intérêts de l’État et aux affaires difficiles. Le principe d’égalité devant la loi était donc quelque peu mis entre parenthèses. Dans les années 1970, l’affaire du juge Renaud (assassiné à Lyon alors qu’il enquêtait sur des liens entre le gang des Lyonnais et le financement du mouvement gaulliste, NDLR), les affaires de « gaullisme immobilier » (sous Pompidou, NDLR), l’affaire Robert Boulin (l’enquête sur le « suicide » de l’ancien ministre du travail a été rouverte en 2015, NDLR) n’ont pas bien été traitées par la justice. On pourrait aussi citer l’affaire Urba (financement occulte du Parti socialiste, NDLR), puis un ensemble de dossiers qui se sont empilés jusqu’en 1993 où je pense que la gauche a subi une défaite considérable notamment en raison de son incapacité à traiter de façon suffisamment rapide les questions de corruption. Pierre Bérégovoy qui était un homme honnête et avait été le promoteur de cette loi dite « Sapin 1 » de janvier 1993, l’a payé peut-être de sa vie. Les affaires sont ensuite mises un peu entre parenthèses dans les années 2000, jusqu’à l’affaire Balladur-Karachi. Au fil des scandales et à mesure que les acteurs s’approprient leurs fonctions, on peut noter une certaine forme de progrès. Mais au regard des enjeux de la mondialisation, de la fraude fiscale, des financements politiques et de la commande publique, en revanche, je pense que nous sommes loin d’être à la hauteur. Le parquet national financier est sans doute prestigieux mais ce ne sont que 18 magistrats qui travaillent avec moins d’une centaine d’officiers de police judiciaire…
Diriez-vous malgré tout que la vie politique française est de moins en moins corrompue ?
La première façon de répondre est de constater que les hommes politiques corrompus au sens juridique du terme sont relativement peu nombreux. Mais il y a aussi la corruption de la République dans un sens plus sociologique ou politologique, au sens étymologique de « décomposition ». Là, il me semble que le législateur est capté par les lobbys et se contente trop souvent d’exécuter ce que lui demande de faire le pouvoir exécutif, alors que ce devrait être l’inverse. Je pense aussi aux lanceurs d’alerte : lorsque des policiers dénoncent les violences policières et des comportements racistes, au lieu d’être soutenus, ils sont sanctionnés comme cela a été le cas à Paris pour le brigadier Amar Benmohamed. Même si l’on ne peut parler de corruption au sens juridique du terme, on peut parler de décomposition des institutions, parce que la police qui couvre des violences illicites n’est plus républicaine. L’absence de responsabilité politique provoque un problème de confiance. Le gouvernement est certes responsable devant l’Assemblée nationale, mais il n’y a eu aucune censure depuis 1962. La responsabilité électorale est introuvable : une fois tous les cinq ans et en fonction de la façon dont les partis sélectionnent leurs poulains… Heureusement qu’elle existe, mais la démocratie appelle des mécanismes de responsabilité politique à moins long terme, qui aujourd’hui ne fonctionnent plus. La réponse judiciaire devient donc incontournable, même si elle n’est pas à la hauteur des enjeux.
L’expérimentation du tirage au sort souhaitée par Emmanuel Macron n’est-elle pas une réponse intéressante ?
Si, c’est une tentative très intéressante dont on n’a pas mesuré l’importance. Hélas, elle a été un peu dévalorisée parce que la promesse initiale de soumettre au Parlement l’ensemble des propositions de la Convention citoyenne pour le climat n’a pas été tenue. Je ne pense pas que cela puisse remplacer la démocratie représentative, mais pour la désignation d’un certain nombre d’institutions, par exemple le Conseil économique et social, le tirage au sort est quelque chose sur quoi l’on doit travailler. Comme d’ailleurs sur la représentation proportionnelle, le calendrier des élections et le financement politique.
« Toute personne qui, dans le monde, combat pour la liberté doit pouvoir trouver en France, pays de la liberté, un asile. Edward Snowden ou Julian Assange pourraient tout à fait prétendre à l’asile politique, voire à la nationalité française. »
Vous serez bientôt auditionné par l’Assemblée nationale autour de la loi « Sapin 2 » sur la protection des lanceurs d’alerte. Quelles améliorations préconisez-vous ?
D’abord, permettre au lanceur d’alerte de se présenter devant une autorité administrative ou judiciaire sans prévenir sa hiérarchie. Ensuite, ne plus subordonner l’alerte à la nécessité d’être désintéressé et de bonne foi. Si l’alerte est légitime, qu’importent les motivations de son auteur ? Enfin, offrir aux lanceurs d’alerte la possibilité d’être soutenus institutionnellement, au minimum par des subventions, mais aussi d’être accompagnés dans la procédure qu’ils devront suivre pour sauvegarder leurs droits. La vie démocratique ne peut fonctionner sur la base de l’héroïsme.
L’évolution de la législation devra tendre à ce que l’alerte s’intègre dans un fonctionnement normal des institutions et à ce que cesse l’actuelle stigmatisation des lanceurs d’alerte. Et puis, je trouve qu’un autre problème devrait être réglé : celui du droit à l’asile politique pour les lanceurs d’alerte qui ont servi les intérêts de la France depuis l’étranger. La constitution de 1946 dit : « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République. » Par conséquent, Edward Snowden ou Julian Assange pourraient tout à fait prétendre à l’asile politique, voire à la nationalité française.
La loi de protection des lanceurs d’alerte s’est appliquée en réalité à très peu de cas… A-t-elle une efficacité concrète ?
C’est très bien d’avoir une législation sur les lanceurs d’alerte, cela permet de mettre en avant leur rôle dans la démocratie et d’en finir avec l’idée qu’ils seraient des « délateurs ». Mais elle est très imparfaite. Disons que ce n’est pas une loi inutile mais qu’elle pourrait être beaucoup plus efficace si l’on allait jusqu’au bout d’un certain nombre de logiques, et si on l’améliorait dans ce sens. Mais oui, dans la possibilité, pour la Cour de cassation, d’affiner sa jurisprudence, elle paraît efficace.
La médiatisation récente des lanceurs d’alerte est paradoxalement un peu contre-productive : les difficultés qu’ils rencontrent n’incitent pas à devenir soi-même lanceur d’alerte. Est-ce que la peur de la sanction, pour tous les témoins et acteurs de la fraude fiscale par exemple, ne serait pas plus efficace ?
En théorie, ces petites mains de la fraude fiscale – les cabinets de conseil, les cabinets d’avocats et de comptables – encourent des sanctions pénales. Le problème est qu’il y a tellement peu de poursuites qu’ils peuvent faire le pari de l’impunité. Et les poursuivre davantage ne résoudrait pas la question des fonds transférés à l’étranger et accueillis de manière tout à fait légale par le Luxembourg, notamment. Nous pensons en revanche que la France pourrait prendre des initiatives, au niveau national et au niveau européen. Nos amis allemands, espagnols et italiens seraient susceptibles d’adhérer si nous voulions un accord européen sur la question de la lutte contre la fraude fiscale. Une opération difficile, car c’est toute l’économie de pays comme le Luxembourg, les Pays-Bas, la Belgique, l’Irlande et Monaco qui devrait être réorientée ou reconfigurée. Mais il est certain que la richesse captée par ces États – et par certains à l’intérieur de ces États – s’évalue en impôts supplémentaires ou en carences de services publics partout en Europe. Cela a des conséquences évidentes pour nos hôpitaux et universités.
Propos recueillis par Raphaël Ruffier-Fossoul, avec Meredith Minster et Raphaël Gendre
Pauline Matveeff : « Mon ambition première est de réconcilier une politique propre et des citoyens dégoutés »

Référente d’Anticor dans le Rhône depuis juin 2020, la juriste en droit de l’environnement Pauline Matveeff entend impulser une nouvelle dynamique à l’association, avec plusieurs signalements déjà adressés ou sur le point de l’être au parquet. « Pour moi, c’est un moyen de rendre la démocratie plus saine : plus ce sera propre “là-haut”, plus on aura une chance de mener des politiques publiques dans l’intérêt de tous. C’est ce qui m’a donné envie de venir chez Anticor. Tant que ceux qui décident tricheront, nos combats n’auront pas la chance d’être tranchés équitablement. »
Dans son viseur : des élus de petites communes qui ont pu s’accorder des indemnités illégales, ou encore le président de la Région, Laurent Wauquiez, qui communique beaucoup à l’approche des élections régionales. « C’est une chose d’utiliser l’argent public pour promouvoir la Région, c’en est une autre de le faire pour se promouvoir soi-même ! »
L’arrivée de Pauline Matveeff aux responsabilités coïncide avec celle des écologistes à la Ville de Lyon et à la Métropole, dont elle salue les progrès réalisés… mais qu’elle a déjà pu agacer : « Les écologistes de la Métropole n’étaient pas super-contents quand on a publié un communiqué de presse dénonçant leurs mauvaises habitudes, tels que les cumuls de mandats de certains alliés de leur majorité et l’élection de l’oncle de Bruno Bernard… Finalement, nous avons discuté et on leur a fait un petit guide sur les choses à faire. On échange : rien que cela, c’est un très grand changement par rapport à la période Collomb, où l’on n’avait même pas d’interlocuteur. Là, ce sont eux qui ont demandé à nous voir ! »
Avec un satisfecit plus net pour le maire de Lyon, Grégory Doucet : « À la Ville, on a tout de suite senti une volonté de faire. Grégory Doucet nous a reçus et annoncé la suppression de la loge à l’année à l’OL. Il y en avait pour un demi-million d’euros, c’était un véritable nid à embrouilles… Cela ne veut pas dire qu’on n’aura rien à dénoncer demain. Mais pour l’instant, ça avance. »
RG et MM